Diffuser un film en classe : un casse-tête légal ?

21 / 06 / 2022 | Laurent Pech

Que peut-on diffuser d’un film en classe ? Comment assurer l’intérêt de notre cours tout en restant dans le cadre légal... Mais quel cadre ? Face à la question du droit d’auteur, l’utilisation d’un film dans le cadre scolaire peut faire peur. Cet article tente d’apporter des éclaircissements à ce casse-tête.

L’expression « exception pédagogique » revient souvent lorsque l’on cherche des principes clairs sur les conditions juridiques permettant aux enseignants de diffuser des œuvres cinématographiques en classe. Il s’agit en réalité d’expression n’apparaissant pas tel quel dans les textes législatifs, permettant de préciser une des « Exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins » définies par droit européen dans une Directive de 2001 [1].

Le droit de la propriété intellectuelle transposé dans le droit français par la loi DADVSI [2] a donné lieu à des accords passés entre l’Education nationale et l’ensemble des sociétés des ayants droit (via la PROCIREP pour cinéma et l’audiovisuel). Ces accords du 4 décembre 2009 définissent encore actuellement le cadre permettant aux enseignants d’utiliser les œuvres cinématographiques, en totalité ou sous forme d’extraits.

Afin de tirer des règles précises et claires sur l’usage des films en classe, on peut cependant se référer à la loi pour la Refondation de l’École de 2013, qui détaille chacun des cas auxquels les enseignants peuvent être confrontés [3].


1) Les principes de l’« exception pédagogique » :

 la diffusion d’un film ne peut se faire que dans une perspective pédagogique et non récréative
 l’exploitation commerciale est interdite
 la diffusion est permise en échange d’une compensation financière, sous forme d’une indemnité forfaitaire prise en charge par le ministère [4]
 la diffusion doit physiquement s’effectuer dans l’enceinte de l’établissement
 la transmission du film peut être réalisée (par clé USB ou ENT) à condition qu’elle soit clairement limitée aux seuls apprenants : une authentification est donc nécessaire pour accéder à la ressources, raison pour laquelle cette transmission doit être réalisée par un ENT respectant les règles RGPD et non pas par mail ou à travers une application permettant des diffusions de contenu hors des règles de l’Education national (on peut penser à Instagram ou Youtube par exemple).


2) Les condition de diffusion : durée, type de vidéo… s’y retrouver :

Les conditions peuvent paraître assez complexes pour se mettre en conformité avec la loi. Il est cependant à noter que certaines conditions ont été assouplies ces dernières années : les enseignants n’ont plus à vérifier auprès du CFC (Centre Français d’exploitation du droit de Copie) si le film envisagé comme support pédagogique est bien inscrit sur la liste des œuvres accessibles aux droits de diffusion. Tous les films sont donc à présent autorisés à la diffusion légale en classe.
A l’échelle d’un établissement, plusieurs cas de figure peuvent être distingués, avec des conséquences différentes en termes d’autorisation de diffusion. Le tableau suivant permet de faire l’inventaire de ces différents cas :

  • Quelques exemples de plateformes de contenus spécialisées pour la classe, référencés au niveau de l’Education nationale et donc libres de droits pour les enseignants :
     Des plateformes publiques :
    www.adav-assoc.com ; www.urfol-ra.org ; www.lightcone.org ; www.zerodeconduite.net ; https://lesfondamentaux.reseau-canope.fr (un site du réseau canopé ne proposant pas de vidéo en Histoire ou en Géographie mais quelques courtes vidéos sur des thèmes d’EMC).
     https://enseignants.lumni.fr/ propose aux enseignants des ressources issues de 29 partenaires publics [5], certaines ressources sont même téléchargeables. Les enseignants se connectent avec leur adresse académique, les élèves peuvent aussi avoir un compte, créé par l’enseignant directement.
  • Attention aux œuvres « tombées dans le domaine public » !
    L’idée de profiter de films tombés dans le domaine public est attractive. Cette situation permet de s’affranchir de tout droits patrimoniaux, on imagine alors pouvoir diffuser un film, en réaliser un montage, avec la même liberté qu’un texte de littérature classique. La question est par contre d’identifier ces pépites !
    Les films dans ce cas de figure restent encore extrêmement rares. En effet, les durées pour que les droits sur les productions artistiques soient totalement expirés sont très longs par rapport à la jeunesse du septième art : il faut 95 ans après la sortie aux Etats-Unis, il faut attendre soixante-dix ans après la mort du dernier auteur ayant droit (producteur, réalisateur, acteurs…). Il faut donc être vigilant face à des listes divulguées par certains sites qui mélangent des films entrés dans le domaine public. Parmi les films américains, seuls les films sortis avant 1927 peuvent être considérés comme totalement exemptés de droits.


3) Le cas Youtube, quels droits à la diffusion pour les vidéos ? :

C’est le site internet grand public le plus utilisé pour ses contenus vidéos, en histoire, géographie ou EMC : de nombreux producteurs de contenus sont de qualité comme "Dessine-moi l’éco", "Un jour une question", "Info ou mytho", "Le dessous des cartes".
Cependant, Youtube n’est intégré dans aucun accord avec le Ministère de l’Education nationale. Il faut alors demander l’accord de l’auteur pour une diffusion légale.
Cette démarche est très simple : on trouve les informations et le contact nécessaire pour faire la demande en cliquant sur l’auteur de la vidéo choisie (profil apparaissant juste en dessous de la vidéo, avec une petite icône ronde souvent personnalisée par l’auteur) puis l’onglet « à propos ».


En conclusion
, il faut rappeler qu’au droit de propriété défini juridiquement, les enseignants doivent s’acquitter d’un « devoir moral de propriété ». Il est important d’un point de vue éthique de citer sur les supports écrits fournis aux élèves (polycopié, message de présentation sur un ENT) ou à l’oral les informations suivantes :
 le nom de l’auteur
 la date de la diffusion (en salle, sur un service de VOD)
 l’url si le film est tiré d’un site internet (lien vers le site de Canopé, celui de l’INA par exemple).

[1Directive 2001/29/CE

[2Loi n° 2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000266350/)

[3Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’Orientation et de Programmation pour la Refondation de l’École de la République ; e) du 3° de l’article L.122-5

[4Les conditions sont définies dans le BOEN du 04/02/2010 pour les œuvres cinématographiques et audiovisuelles

[5AFP, Antigone, Arte, BBC, BNF, BRGM, Centre Pompidou, Château de Versailles, Cité de l’architecture et du patrimoine, CNES, CNRS, INA Jalons, BBC Learning, ECPAD, IFREMER, IGN, INA GRM, INA Jalons, INSEE, INSERM, IMA, LeSite.TV, Le Louvre, Météo France, MNHM, Philarmonie de Paris, Retronews, RMN, RTVE

 

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