Université d’été 2018 du Musée de la Grande Guerre de Meaux

01 / 12 / 2018 | GOURGUECHON Christophe

La 6ème université d’été du Musée de la Grande Guerre a réuni des historiens-chercheurs et des professionnels du patrimoine autour d’un thème : "Familles à l’épreuve de la guerre" et d’une problématique générale : "Quelles répercussions la Grande Guerre a-t-elle eues sur les familles ?".

Pour cette 6ème année, l’université d’été du Musée de la Grande Guerre a réuni des historiens-chercheurs et des professionnels du patrimoine autour d’un thème : "Familles à l’épreuve de la guerre" et d’une problématique générale : "Quelles répercussions la Grande Guerre a-t-elle eues sur les familles ?". Au-delà de ce questionnement général, les réflexions se sont portées sur trois axes dominants : Qu’est-ce qu’une famille en 14-18 ? Comment vivre la séparation et l’absence ? Comment garder le lien ? Les deux journées se sont par ailleurs déroulées autour de réflexions sur "Le temps de la séparation" (Vendredi 6 juillet), puis "Le temps des retrouvailles" (Samedi 7 juillet).
La thématique de l’année s’est enfin articulée autour de l’exposition temporaire "Familles à l’épreuve de la guerre" qui se tiendra au musée jusqu’au 2 décembre 2018 ( https://bit.ly/2JnRYeV ).

(Grand merci à Madame Eloïse SAUVION, enseignante de lettres modernes au lycée Jean Vilar de Meaux pour sa prise de notes de qualité lors de la 1ère demi-journée).

En introduction, le Président de l’université d’été François COCHET et professeur des universités en histoire contemporaine (Université de Lorraine-Metz) rappelle le contexte général de 1914, en termes démographiques (40 millions de Français en 1911 et une plus faible croissance démographique depuis 1870 que ses voisins européens, notamment l’Allemagne). De ce point de vue, consensus droite-gauche sur la lutte contre la dépopulation. Valorisation de la famille nombreuse (Création d’allocations dès le début du siècle et loi d’assistance aux familles nombreuses en 1913). François Cochet rappelle aussi le contexte en termes juridiques (importance du code Napoléon dans la structure familiale), économiques (37% de femmes ont un travail rémunéré au moment où éclate la guerre. Moins qu’en Angleterre et Allemagne, mais la guerre permettra un rattrapage).
Deux visions antinomiques de la famille à l’époque (à nuancer cependant) : la famille comme école du sacrifice, modèle autoritaire pour la droite contre un milieu d’épanouissement du citoyen pour la gauche anticléricale.
Lutte contre la dépopulation dès avant la guerre et valorisation de la famille nombreuse. En 1908, création de l’association de l’Alliance nationale pour le relèvement de la population française de Bertillon. Création d’allocations. 1913, loi d’assistance aux familles nombreuses.
Un renouvellement historiographique depuis une vingtaine d’années.
Travaux sur la relation entre époux au travers des correspondances (Clémentine VIDAL-NAQUET), sur l’enfance (Olivier FARON), la sexualité au front (J.-Y. LE NAOUR), le lien amoureux (article de Michelle PERROT de 1987),
Rappel aussi de la question de la démasculinisation de la société avec le travail de Charles RIDEL sur les embusqués.
Importance de la correspondance ici encore. garder sa place de père au foyer (conseils aux enfants. Cf. Lettres du Lieutenant Colonel BOURGUET).
Il évoque aussi les changements occasionnés par le conflit et ses conséquences (travail féminin dans de nouveaux emplois, allocations aux femmes de mobilisés, veuves et orphelins, statut de pupille de la Nation (CF. O.Faron),...). La loi du 4 avril 1915 qui institue le mariage par procuration, même si elle reste symbolique par l’ampleur de son application (6.240 mariages entre 1915 et 1921), rend ainsi compte de l’adaptation opérée par l’État.

Bibliographie indicative :
FARON,O., Les enfants du deuil, La Découverte, 2001.
RIDEL, Ch., Les embusqués, Armand Colin, 2007.
VIDAL-NAQUET, C., Couples dans la Grande Guerre. Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Paris, Les Belles Lettres, 2014.
VIDAL-NAQUET, C., (établie et présentée par) Correspondances conjugales 1914-1918-Dans l’intimité de la Grande Guerre, Coll° Bouquins, Robert Laffont, 2014.

Plan de l’article
LE TEMPS DE LA SÉPARATION
1. Photo de famille(s) avant-guerre - Vincent GOURDON
2. Les familles à l’épreuve de la mobilisation
2-A. La séparation à travers l’iconographie - Marie-Pascale PREVOST-BAULT
2-B. Du bled au front : Le cas des soldats africains - Anthony GUYON
2-C. Familles et mobilisation : L’angle démographique -Jean-Marc ROHRBASSER
3. Tenir quand on est séparé
3-A. Le rôle de la poste : garder le lien - Sébastien RICHEZ
3-B. Se raconter à travers la correspondance - Anaïs RAYNAUD
4. Préserver la famille
4-A. Les enfants : regards sur la délinquance juvénile - François COCHET
4-B. A l’arrière : la crainte de l’émancipation des femmes ? - Jean-Yves LE NAOUR
4-C. Au front : Le contrôle de la sexualité des hommes - Jean-Yves LE NAOUR
5. Projection de "La cicatrice" de Laurent VERAY, 2013.

LE TEMPS DES RETROUVAILLES
6. Le retour au foyer
6-A. Les permissionnaires - Emmanuelle CRONIER
6-B. Le retour des gueules cassées - Sophie DELAPORTE
6-C. Le retour au bled - Anthony GUYON
7. Les retrouvailles impossibles
7-A. Le retour des corps - Béatrix PAU
7-B. Quand la mode nous éclaire sur le deuil - Sophie KURKDJIAN
8. Après-guerre, quelle(s) familles(s) ?
8-A. Familles et politiques natalistes dans l’entre-deux-guerres - Jean-Yves LE NAOUR
9. Les familles à travers les documents des Archives départementales de Seine-et-Marne - Lucie BERGONT et Olivier PLANCKE
10. Rappel des thématiques des éditions précédentes de l’université d’été du musée de la Grande Guerre. (et liens vers les conférences audio ou filmées par l’APHG)

1ère Journée - LE TEMPS DE LA SÉPARATION

1. Photo de famille(s) avant-guerre - Vincent GOURDON

Vincent GOURDON nuance l’originalité des modifications apportées par la guerre. La notion de "famille traditionnelle" est à relativiser. Des mutations dans le modèle familial sont à l’œuvre dès les XVIIIème-XIXème siècles.
La guerre est plus un accélérateur des évolutions qu’un point de rupture.

Photographie de l’affiche de l’exposition. Quatre membres dans cette famille soit plus que pour la moyenne française. (3,34 enfant à l’époque). La famille française est restreinte avant la Première guerre mondiale pour plusieurs raisons :
 Fidélité au modèle nucléaire depuis le Moyen-Âge. Peu de présence des aïeux (sauf dans certaines régions : Quercy, Pyrénées) et donc autonomie financière des générations. Le regroupement se produit en cas de problème (maladie, ruine,...). L’aïeul au coin du feu est un mythe créé par la pensée anti-révolutionnaire, mais ne correspond que peu à la réalité.
 Large urbanisation : Les ménages urbains modestes sont de taille réduite. Seuls les milieux aristocratiques et bourgeois gardent la logique de la cohabitation (patrimoine immobilier, hôtels particuliers, immeubles,...)

En 1914, 22% des ménages n’ont pas d’enfants, 47% en ont un ou deux, 30% en ont trois ou plus. La France est donc un pays vieillissant (25% de moins de 14 ans pour 35% en Allemagne). Problème pour la mobilisation. Création d’associations familiaristes et natalistes à la fin du XIXème siècle.
L’omnipotence paternelle est contestée par l’émergence des droits de l’enfant :
 1889 : Loi sur la déchéance paternelle si crime, incitation à la débauche,...
 1912 : Loi autorisant la recherche du père pour les enfants illégitimes.
On assiste aussi à une dé-hiérarchisation :
 Tutoiement enfants-parents dans les familles bourgeoises
 Deuil porté pour les enfants décédés
 Remise en cause des châtiments corporels
 Chambre individuelle pour les enfants
Nouvelle relation conjugale ?
 Divorce pour faute institué en 1884 (Loi Naquet)
 Aspiration des femmes à une relation conjugale plus affectueuse
 Réflexion sur l’égalité femmes-hommes dans la vie familiale (Cf. BLUM, L., Du mariage, 1907)

Bibliographie indicative :
GOURDON, V., Histoire des grands-parents, Coll° Tempus, Perrin, 2002.

https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2002-5-page-166a.htm

2. Les familles à l’épreuve de la mobilisation

2-A. La séparation à travers l’iconographie - Marie-Pascale PREVOST-BAULT

Cf. Thèse de Clémentine VIDAL-NAQUET
Représentation triangulaire de la famille. Représentation des départs (premier départ ou fin de permission)
La femme paysanne (sabots et coiffe), le départ de l’homme, présence récurrente de l’enfant pour rappeler la mission éducative des femmes pendant la guerre.
Représentation où le stoïcisme supplante l’expressivité. Volonté de rassurer.
Retour anticipé et rêvé pour rappeler la solidité du couple et du trio avec enfant.

Bibliographie indicative :
PREVOST-BAULT, M.-P., Le service des enfants, les « graines de poilus »
Dans Combats de femmes 1914-1918, Autrement, 2004.

https://www.cairn.info/publications-de-Pr%C3%A9vost-Bault-Marie-Pascale--66895.htm

2-B. Du bled au front : Le cas des soldats africains - Anthony GUYON

Peu d’archives de l’intime pour les soldats issus des colonies.
 La séparation.
Elle est synonyme de mort et donc on assiste à des révoltes, des protestations de femmes, des fuites (vers les colonies anglaises qui ne mobilisent pas avant 1916), des mutilations, des simulations de myopie, de surdité,...
Recrutement très brutal. (Cf. D.DOMERGUE-CLOAREC)
50.000 tirailleurs mobilisés.
 garder le contact.
Peu de contact avec la famille pour les colonisés. Pas de permission chez soi (problème de la distance, du trajet trop long). On remplace la permission chez soi par des séjours dans des camps dans le sud de la France pendant l’hiver.
Peu de correspondance car les soldats sont souvent illettrés. Conséquences : baisse de moral, alcoolisme.
 Intervention de l’État-major pour maintenir le moral des soldats africains.
Travail sur le religieux (difficile pour les animistes car lien avec le terroir), efforts envers les musulmans (Pas de porc dans les rations), marraines de guerre lors des séjours dans les camps à Fréjus et Saint-Raphaël, alimentation (noix de cola).

Bibliographie indicative :

DOMERGUE-CLOAREC, D., La Côte d’Ivoire et la Grande Guerre, Coll° histoire et sociétés, presses universitaires de Méditerranée, 2017.
GUYON, A., De l’indigène au soldat : les tirailleurs sénégalais de 1919 à 1940 : approche anthropologique et prosopographique. (thèse soutenue en décembre 2017)

http://www.theses.fr/2017MON30036

2-C. Familles et mobilisation : L’angle démographique -Jean-Marc ROHRBASSER

Mobilisation : 20-40 ans.
Allongement du service à 3 ans (Loi Berthoux). 7,9 millions de soldats mobilisés sur la durée de la guerre, soit 20% de la population de 1911, 40% de la population masculine totale et 67% des travailleurs valides.
 natalité
On constate peu de changement entre 1911 et 1921. très légère baisse de population. Le taux brut de natalité était déjà bas par rapport aux voisins avant la guerre. 40% de déficit de naissances en revanche (420.000 naissances sur 700.000 attendues en temps de paix).
 nuptialité
Peu d’impact sur le célibat féminin (grâce au remariage ?)
 mortalité
300.000 Français tués en 1914
Fin 1918 : 2.000.000 de morts
 veuvage
Des emplois dédiés (manufacture de tabac de Morlaix, par exemple, PTT), « obusettes », « munitionnettes ».
Remarque : les veuves ne sont pas considérées comme célibataires.

Bibliographie indicative :
ROHRBASSER, J.-M., Bouleversements démographiques de la grande guerre, INED, 2014.

3. Tenir quand on est séparé

3-A. Le rôle de la poste : garder le lien - Sébastien RICHEZ

En introduction, un film d’actualité de 6minutes, tiré du site de l’EPAD, Histoires filmées de la Grande Guerre : Le courrier aux armées afin de montrer l’importance de ce service en temps de guerre. S.RICHEZ sans minimiser cette importance du lien entre le soldat et sa famille, attire aussi l’attention sur l’aspect propagandiste de la présentation par ces documents d’actualité.
http://www.ecpad.fr/histoires-filmees-de-la-grande-guerre-le-courrier-aux-armees/

Sébastien RICHEZ fait allusion aux travaux de Clémentine VIDAL-NAQUET concernant notamment les correspondances conjugales dans la guerre (voir bibliographie indicative ci-dessous) rappelant que l’usage de l’écrit s’est largement répandu depuis la fin du XIXème siècle, offrant une masse importante de documents, d’une part, mais posant aussi la question de la capacité du service des Postes à traiter cette correspondance.
Cette dernière question s’inscrivant par ailleurs dans un contexte où le service des Postes de 1914 n’a pas évolué et est le même que celui de 1870 et qu’il doit par ailleurs faire face à une pénurie de personnel du fait de la mobilisation (de facteur à vaguemestre, parfois...) et des décès consécutifs à la guerre (115.000 morts durant le conflit).

Le temps de distribution est ralenti pour plusieurs raisons :
 De l’arrière au front : difficultés à trouver le soldat, à déterminer le secteur postal dans lequel il se trouve, surtout lors de la guerre de mouvement. (une quinzaine de jours souvent). Du front à l’arrière (une dizaine de jours).
 Le nombre colossal d’objets (lettres, paquets, colis, journaux,...) à traiter et en augmentation : on passe de 3,3 milliards d’objet en 1913 à 10 à12 milliards en 1918. Pour les mandats postaux, on passe de 66 millions en 1913 à 82 millions en 1918.
Les paquets (moins d’un kilo) sont traités par les bureaux de postes, les colis (>1 kilo et plus volumineux), par les compagnies de chemin de fer.

Des moyens et évolutions pour répondre aux nouveaux besoins :
 "Ère du courrier-facile" : Une franchise postale est établie pour les courriers dès 1914 et les paquets-postes aux militaires à partir de 1915, quand on prend conscience que la guerre va durer. NB : Les cartes-lettres parfois pré-remplies ("Je vais bien") facilitent aussi les échanges épistolaires.
 Augustin Marty, nommé à la tête de l’inspection générale technique du grand quartier général auprès de Joffre prône dès l’automne 1914, l’articulation des civils et des militaires au sein du bureau de poste centrale "Paris-Louvre". Le rendement du tri en est sensiblement accéléré.
 La poste fonctionne sept jours sur sept (comme avant le conflit. Des aménagements sociaux sur cette question ne verront le jour qu’après 1918).
 Des évolutions techniques aussi (impact sans doute plus limité) : Les premières boîtes aux lettres automatiques pour tenter de faire face à la pénurie de personnel.

Concernant la censure, Sébastien RICHEZ rappelle qu’il faut la relativiser (faute de moyens aussi...). On peut l’évaluer à 2 à 4 lettres pour 1.000 seulement.
S.RICHEZ rappelle sur ce point les travaux de Jean-Noël Jeanneney. (Voir https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1968_num_15_1_3340 et https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_54_2_2305)

Bibliographie indicative :
RICHEZ, S., Postiers et facteurs en France depuis deux siècles, in Flux 2007/4, N° 70, 2007.
RICHEZ, S., Le facteur rural des postes en France avant 1914 : un nouveau médiateur au travail, in Le Mouvement Social, 2007/1 (no 218), 2007.
Sitographie : http://centenaire.org/fr/espace-scientifique/societe/une-poste-dans-la-guerre-la-poste-aux-armees (par S.Richez)
VIDAL-NAQUET, C., Couples dans la Grande Guerre. Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Paris, Les Belles Lettres, 2014.
VIDAL-NAQUET, C., (établie et présentée par) Correspondances conjugales 1914-1918-Dans l’intimité de la Grande Guerre, Coll° Bouquins, Robert Laffont, 2014.

3-B. Se raconter à travers la correspondance - Anaïs RAYNAUD

Anaïs RAYNAUD présente de quelle manière le contenu de la correspondance permet de "se raconter".
Plusieurs objectifs : Rassurer, informer, demander ce qu’il manque...
La "lettre ambassadrice" permet aussi de se replacer dans le réseau familial :
 Particulièrement visible dans les expressions telles que "ton fils qui t’aime", "ton mari,...", etc...
 Dans le même ordre d’idées, on donne aussi des conseils pour la bonne marche de la vie à l’arrière : gestion du deuil d’un proche par les sœurs de tel soldat, par exemple, mais dans d’autres lettres, vente des bêtes, date des moissons, des vendanges, conseils pour tenir la ferme, la boutique,...
 On fait valoir l’autorité paternelle
La lettre permet aussi de s’affirmer dans son nouveau statut de soldat.

Dans tous les cas, la correspondance vise à abolir au maximum l’espace (distance front-arrière) et le temps (se sentir au plus près des siens).

4. Préserver la famille

4-A. Les enfants : regards sur la délinquance juvénile - François COCHET

François COCHET présente la question de la délinquance juvénile en temps de guerre.
Il évoque les travaux d’Yves POURCHER sur la question (voir biblio indicative ci-dessous). A partir de plusieurs exemples (La bande des As de pique à Rennes, la bande de "Z" à Troyes, la bande des détectives cambrioleurs à Arles, la bande des gentlemen cambrioleurs professionnels (GCP) à Nice, la bande des masques noirs à Alger,...), il analyse les comportements de ces mineurs délinquants qui volent et violentent parfois jusqu’au meurtre. Il pose aussi la question : "Est-ce que la guerre change les choses ou n’est-ce que la continuation des comportements existants avant-guerre ? (Cf. Les Apaches étudiés par Michelle Perrot à la fin des années 1970 et l’affaire "Casque d’or".)
François COCHET évoque enfin les causes des violences mises en évidence par les autorités judiciaires confrontées à ces groupes : les films (déjà !...). Notamment, "Les mystères de New York" sortis en France en 1915-1916. Et certains membres des bandes expliquent aux juges qu’ils ont attaqué des personnes pour leur dérober de quoi aller au cinéma !
Se pose donc le lien entre pratiques et films. Début d’une société iconique qui engage le ministère de la justice à commanditer une enquête sur les dangers du cinématographe. De la salle, Jean-Yves Le Naour mentionne d’autres "icônes" du banditisme au cinéma : Judex, Fantômas et Les vampires. (NB Judex à l’écran en 1916, Fantômas porté à l’écran en 1913, la série "Les Vampires" en 1915. Entre une dizaine et une vingtaine d’épisodes à chaque fois).
On peut peut-être aussi analyser ces comportements comme autant de remise en question de la culture de guerre dès lors qu’on les observe au prisme du refus d’un patriotisme exacerbé.
Il reste que nous sommes là devant des adolescents sans père (mobilisé au loin) qui rêvent peut-être eux aussi d’être soldats... dans un contexte où la police est peu nombreuse, d’où peut-être la recrudescence de ces comportements.
Enfin, ces cas ne sont pas propres à la France. François COCHET mentionne l’existence de cas similaires en Grande-Bretagne, notamment.

Bibliographie indicative :
COCHET, F., Les Français en guerre, Perrin, 2017.
COCHET, F., La Grande Guerre, Coll° Tempus, Perrin, 2018.
POURCHER, Y., Les jours de guerre. La vie des français au jour le jour 1914-1918, Coll° Pluriel, Hachette, 1995.

4-B. A l’arrière : la crainte de l’émancipation des femmes ? - Jean-Yves LE NAOUR

La conférence débute avec le visionnage d’un extrait du film "La femme française dans la guerre", 28 mn, site de l’ECPAD.
http://www.ecpad.fr/la-femme-francaise-pendant-la-guerre/

Jean-Yves LE NAOUR fait d’abord un rappel historiographique et précise que jusqu’aux années 1980, on laisse entendre que les femmes "ont commencé à travailler et à s’émanciper" à l’occasion de la première guerre mondiale.
Les travaux des années 1980, sous l’impulsion des historiens américains remettent en question cette idée. En France, c’est Michelle Perrot notamment qui relaie et opère ce renversement historiographique.

Par ailleurs, la guerre pose de manière plus importante la question de l’émancipation. L’éloignement des hommes rend plus forte la crainte d’un tel mouvement à l’arrière.
Les conditions de la guerre et des combats alimentent une crise de la masculinité. Alors que le "poilu" se veut viril et courageux (sens même de l’expression "avoir du poil" et le "poilu" n’a finalement rien à voir avec la barbe qu’il n’aurait plus le temps ni le loisir de couper, au combat...), les soldats se sentent passifs dans la guerre industrielle, voire même ils se sentent déclassés. Drieu la Rochelle s’estime privé de toute gloire dès lors que les machines (les pièces d’artillerie) font tout et que les soldats "marchent à quatre pattes" dans les tranchées. Cette image tranche avec l’attente d’un Dorgelès ou d’un Guynemer qui tous deux veulent faire la guerre et contournent la réforme, parce qu’ "il faut en être". On retrouve cette idée dans l’expression qui se substitue à "apte à la guerre" et qui devient familièrement "bon pour les filles".
Les femmes ne sont pas en reste. Elles doivent elles aussi être fortes, mais pas pour elles-mêmes, pour ne pas amollir les hommes.
La guerre semble donc poser face à face deux groupes : les hommes, passifs et les femmes qui agissent voire qui remplacent. Les hommes au front se sentent aussi dépendants des femmes, pour le courrier ou le paquet ou colis qu’ils attendent, et pour les soins aux blessés par l’intermédiaire des infirmières.
L’autre crainte est celle de l’adultère. Cf. Le refrain d’une chanson de l’époque : "Les p’tites femmes de chez nous tiendront-elles ?".
Le remplacement et le possible adultère : deux éléments d’un ressenti d’émasculation.

Les expressions "obusettes", "munitionnettes" évitent ici de dire "ouvrières" et donc d’installer durablement les femmes dans un statut. (Cela permet aussi de les payer moins...). Du reste les syndicats ont montré souvent sur la période leur refus de voir les femmes travailler et donc concurrencer les hommes dans certaines tâches (crainte de la concurrence, du remplacement et de la baisse des salaires).

Et pourtant, les femmes se passent plutôt bien des hommes à la boutique ou à la ferme. C’est encore plus humiliant, vu de loin par les soldats. La tendance haussière des prix leur permettent même de rembourser les dettes, de développer l’exploitation.

Résultat : Développement d’une contestation à l’encontre des femmes voire d’une haine de celles-ci. Pour certains, les femmes seraient responsables de la guerre ou en tout cas, elles n’auraient rien fait pour laisser partir les hommes (!). Un discours qui s’intègre à la dénonciation générale de l’arrière et des embusqués.
Pour Anatole France, 80% des femmes seraient contentes d’être débarrassées de leur mari et c’est pour ça que la guerre dure.

4-C. Au front : Le contrôle de la sexualité des hommes - Jean-Yves LE NAOUR

Dès lors que la guerre dure, la question de l’organisation de la prostitution se pose.
Pour les armées, il s’agit d’éviter la propagation des maladies vénériennes. Un soldat malade est un soldat qui manque à sa patrie. Un discours qui s’inscrit dans la théorie de l’époque de l’hérédosyphilis (transmission des tares aux générations suivantes). Limiter les risques de maladies vénériennes, c’est donc non seulement continuer à lutter pour la patrie, mais protéger la "race".
Le ministère de la guerre met en place des cycles de conférences à destination des soldats et fait distribuer des tracts dans toutes les langues de l’empire aussi. Le discours reste foncièrement moral et en cela, il "colle" à l’idée d’une guerre qui se veut aussi régénératrice, purificatrice, en réponse à l’immoralité dénoncée avant-guerre. Un discours d’abord répandu dans les milieux d’extrême-droite, mais répandu au-delà de ces groupes au moment de l’éclatement du conflit. Il s’agit aussi de faire peur (recours à des photographies). La solution d’abord prônée : rester chaste.
Concernant le recours au préservatif, l’usage n’en est pas encouragé par les médecins. Il ne faut pas habituer les Français à éviter de faire des enfants. Peur du dépeuplement, donc. (La culture populaire a répandu l’idée d’un service pour les hommes comme pour les femmes : Trois ans de service pour les hommes, trois enfants pour les femmes).

La stratégie ne fonctionne pas. Le nombre de cas de maladies vénériennes augmente. L’État se résout donc à tenter d’encadrer la prostitution. Il faut protéger le soldat et la morale. Pour l’armée, il faut enrayer les échanges sexuels hors mariage et enrayer aussi la prostitution bénévole, libre, gratuite, incontrôlable celle-là.
En mars 1918, on en vient à créer une véritable intendance sexuelle. On crée des bordels militaires réservés aux soldats (circulaire du général Mordacq du 13 mars 1918).
En Allemagne, on crée un service public, des bordels dans les casernes.
Les États-Unis s’opposent à un tel encadrement (puritanisme).

Bibliographie indicative :

LE NAOUR, J.-Y., Misères et Tourments de la chair durant la Grande Guerre : Les Mœurs sexuelles des Français 1914-1918, Coll° historique, Aubier Montaigne, 2002.

5. Projection de "La cicatrice" de Laurent VERAY, 2013.
Un documentaire qui retrace le destin de la famille Resal dans la guerre en s’appuyant sur leurs correspondances croisées et leurs photographies.

Pour aller plus loin...
http://centenaire.org/fr/la-cicatrice-prologue
http://www.crid1418.org/temoins/2016/02/20/resal-paul-1894-1983/
http://www.ecpad.fr/plateforme-1418-une-famille-dans-la-grande-guerre/

2nde Journée - LE TEMPS DES RETROUVAILLES

6. Le retour au foyer

6-A. Les permissionnaires - Emmanuelle CRONIER

La question des permissions se pose vraiment à partir de la fin 1914, début 1915. La guerre va durer. Il faut désormais lutter contre les déceptions dues à la fatigue et à la séparation.
Pour la France, la circulaire du 1er juillet 1915 encadre le régime des permissions. En théorie, une à trois fois l’an et tous les quatre mois maximum. La durée est fixée à quinze jours. En pratique, c’est bien moins car il y a suspension de permission dans le cadre des opérations du front. Par exemple, en 1916, seuls 2% des soldats d’une compagnie peuvent en profiter (4 pour 200, effectif d’une compagnie). Les estimations montrent qu’en moyenne les hommes ont disposé de seulement 50 jours sur les 1.500 jours du conflit.
Pourquoi ?
 Refus des autorités militaires qui privilégient toujours les opérations et rechignent donc à laisser partir les hommes.
 Le transport des permissionnaires n’est pas prioritaire. Dans l’ordre : 1. Transport montant ; 2. Transport descendant des blessés ; 3. Transport des permissionnaires.
C’est Pétain qui va imposer aux chefs de corps de laisser partir leurs hommes. En 1916-1917, 3,5 millions d’hommes partent ainsi en permission.
Deux cas à part : Les Balkans et les colonisés (hivernage).

Comment ce système si mal organisé a-t-il été si important pour les familles ?
 Il permet de se projeter dans un imaginaire de paix. C’est le seul moment de la guerre partagé par les soldats et les civils.
 C’est un point d’ancrage essentiel. On fait des projets "pour la permission" (Cf. les lettres, la correspondance privée). On a retrouvé une double correspondance parfois. Une correspondance à donner à la famille et une correspondance réservée à l’épouse, la fiancée. S’y retrouvent des scènes de permission passées remémorées, par exemple.
(NB A voir en ligne la correspondance de Jacques et Marie-Josèphe Boussac. https://www.bn-r.fr/notice.php?q=id_origine:BOU_JAC_1704 et Jacques Boussac, Correspondance de Jacques et Marie-Josèphe Boussac, 1914-1918, Paris, Jouve, Éd. familiales, 1996, p. 12, lettre du 2 août 1914.)

Le pôle familial est très marqué, même si le pôle festif est important (dormir dans son lit, manger à table,...). C’est aussi une expérience nouvelle du temps libre. Pas de culture du temps libre en 1914 (le repos dominical est institué seulement depuis 1906).
Un planning est organisé autour du retour du soldat par la famille.

Voilà pour la vision idyllique, mais, pour beaucoup, on utilise le temps de permission pour travailler dans son exploitation agricole, par exemple ou même, on se fait embaucher pour gagner un peu d’argent. Pour beaucoup, la contrainte financière est présente, donc.
Des tensions aussi. La peur de l’infidélité. Cf. La carte postale "en permission". Un soldat découvre un nouveau-né au logis. "Que veux-tu, mon pauvr’ homme, ça m’a échappé". Concurrence aussi des Alliés aux yeux des Français dans la capacité à séduire.
Il faut aussi gérer le cafard qui fait suite au retour au front.

Enfin, il faut contrôler les permissionnaires.
La tenue militaire est obligatoire même en permission (Cf. Photo d’un permissionnaire au travail sur un chantier, en redingote et calot). Pas d’arme, évidemment.
Les comportements sont aussi scrutés par tous. La bonne image de l’armée doit être respectée.
L’autre enjeu, c’est le retour au front. Il faut reprendre le premier train après la fin de la permission.
Le contrôle policier est censé éviter les désertions.

François COCHET mentionne, à l’issue de la présentation le cas de mouvements de femmes qui ont tenté parfois d’empêcher les soldats de repartir au front, en bloquant les trains, comme à Limoges en 1917.

Bibliographie indicative :
CRONIER, E. Permissionnaires dans la grande guerre, Coll° Alpha, Belin, 2017.

6-B. Le retour des gueules cassées - Sophie DELAPORTE

En 1919, lors du défilé de la victoire, on choisit de valoriser le mutilé. Héroisation de la blessure, mais il faut apprendre à vivre avec (relation à l’autre, travail, regard sur soi,...)
Pour le mutilé, il y a continuation de la guerre, en quelque sorte.
Peu de sources sur cette question. Pas de visibilité des hommes eux-mêmes.
L’Association des gueules cassées fondée par Albert JUGON donne une visibilité à la question.
Albert JUGON est blessé durant le conflit, défiguré et subit 40 interventions chirurgicales.
Son frère resté à l’arrière est le messager de sa correspondance avec la famille.
La question de sa fiancée se pose. Angèle fait face avec courage au moment de la première confrontation avec le visage d’Albert, pourtant Albert prend la décision de la séparation (pression de la famille aussi ? Angèle est d’une classe sociale inférieure et jugée "de santé fragile" par celle-ci...). Albert justifie son choix en disant craindre de ne pouvoir faire face à l’existence (force physique). Peut-être a-t-il voulu protéger Angèle.
Au lendemain de la guerre il se marie avec Louise et ils auront ensemble 2 enfants. Il divorcera en 1949 (pas si courant pour l’époque) et meurt en 1959.
Albert JUGON a reçu une décoration durant le conflit et est présent lors de la signature du traité de Versailles dans la délégation des mutilés constituée à la demande de Clémenceau.
La presse à cette occasion porte particulièrement son attention sur ces mutilés de la face.
Conséquences :
 Prise de conscience et mise en place d’une sociabilité spécifique (foyer pour les compagnons d’Albert JUGON). C’est chose faite en 1927 au château de Moussy-le-vieux (S.et M.)et à Coudon (Var).
 Reconnaissance juridique de cette mutilation (réforme, pension).

Conclusion : l’immense majorité des mutilés se sont réinsérés dans la société à la fois d’un point de vue professionnel et familial. L’Association a joué un rôle éminent (Pension, emploi, refuge). Elle fonctionne financièrement grâce à des dons et legs, puis la participation à la loterie nationale après 1920. Les "gueules cassées" (appellation créée par les mutilés eux-mêmes) sont pris en charge par l’Association qui obtient une prise en compte par l’État qui ne les prend pas en charge directement.

Bibliographie indicative :
DELAPORTE, S., Visages de guerre - Les gueules cassées de la Grande Guerre à l’Afghanistan, Coll° Contemporaines, Belin, 2017.

6-C. Le retour au bled - Anthony GUYON

Anthony GUYON a travaillé sur le cas des tirailleurs.
Il mentionne un roman, "La randonnée de Samba Diouf", publié en 1920.

Les retrouvailles sont complexes. On évoque le "choc du retour".
Les tirailleurs ont découvert une autre société, l’individualisme (ne serait-ce que par la perception de la solde). Ils sont parfois rejetés par le village et le clan à leur retour.

Le retour est progressif, jusqu’à l’année 1920.
On démobilise d’abord les anciens, puis les métiers importants (remise du pays au travail).
Un débat : Pour le ministère des armées, il y a la volonté de garder les soldats (futurs conflits ?) et pour le ministère des colonies, il y une demande de les rendre au plus vite (exploitation des colonies et encadrement des colonisés, intermédiaires parlant français).
Retour de 4.000 hommes par mois. Un transit dans des camps au sud de la France.

La réinsertion.
Les soldats issus des colonies ne sont pas totalement abandonnés, même s’ils ne bénéficient pas des mêmes appuis qu’en métropole.
Des compensations : argent, emploi, compensation civique qui fait long feu (nationalité). Un cas particulier : les Quatre communes (Sénégal).
Problème des sources. Les hommes "disparaissent" dès leur retour au village.
Des cas très divers en tout cas. (NB Pas de "retour-type").
Des associations d’anciens combattants existent (Moyen de garder le contrôle politique sur les hommes aussi).

La famille.
C’est compliqué pour le soldat qui revient. Pas de famille nucléaire souvent dans les sociétés coloniales et les femmes se sont souvent "remariées".
La question de rester en métropole se pose pour certains :
 faire des études supérieures
 mariage légal avec une française
 enfant avec une française

Conclusion : Transition complexe du soldat à "l’indigène". Difficultés à réaffirmer sa place dans la société coloniale au sein de la famille et/ou vis-à-vis des autorités. Question des relations mixtes.

Dans l’armée, on assiste à une augmentation du nombre de soldats issus des colonies. On passe de 8% en 1920 à 15% en 1924. Et donc tous les hommes ne sont pas repartis.

7. Les retrouvailles impossibles

7-A. Le retour des corps - Béatrix PAU

Dès 1914, les familles écrivent pour récupérer les corps des soldats tués au combat.
Pas de législation alors et donc flottement.
Dans les années 1920, l’État s’organise.

Comment une affaire privée est-elle devenue une affaire d’État ?

Vouloir le corps, pourquoi ?
NB L’annonce de la mort est édulcorée. Un héros, forcément. (voir fiches sur le site "mémoire des hommes" http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?larub=3&titre=premiere-guerre-mondiale)
On veut le corps pour faire son deuil, accepter la mort.
Ce qui passe par des étapes et tout un cérémoniel (toilette, veillée, inhumation, banquet) que l’absence du corps interdit.
Volonté de savoir où est le corps aussi pour entretenir ou faire entretenir éventuellement la sépulture au moins.
Quelques rares retours pendant la guerre et à titre onéreux.
Les autorités interdisent la récupération des corps dans la zone militaire et à l’arrière, possible sous certaines conditions (19 novembre 1914 - Joffre).
A la fin de la guerre, alors que les actions des familles se multiplient, l’armée maintient l’interdiction :
 Restructurer les champs de bataille
 Si on restitue, qui paie ?
 Motivation morale (les cimetières, les croix blanches comme "frontière" avec l’Allemagne).
Mais les familles n’acceptent plus. Des inhumations clandestines. A l’été 1919, ces actions sont connues, font scandale, mais les critiques vont vers l’État.

Des questions : A qui appartient le corps ? Famille ? Armée /État ?

Aux États-Unis, comme promis en 1917, on organise le rapatriement des corps aux familles. Le 30 juillet 1920, la gratuité est instaurée pour les ascendants et descendants. Formulaire de restitution sous 3 mois.

Le ballet des morts.
A partir de 1921 se met en place une organisation rigoureuse autour de quatre gares régulatrices qui concentrent les flux. On fait des "trains de cercueils".
Recours à des entreprises privées. Adjudications et marchés de gré à gré.
Les entrepreneurs peu scrupuleux apparaissent aussi...

Le retour des corps.
Dans certains cas, l’État prend en charge jusqu’à l’inhumation. Les familles ne sont parfois pas invitées à l’inhumation.
De manière générale, l’État arrête son action à la porte du cimetière. Certaines communes choisissent de créer des carrés militaires dans les cimetières ou des tombeaux communs, des cryptes sous le monument aux morts, parfois.
Le droit des familles garantit la possibilité du choix d’une inhumation privée dans tous les cas.

Bibliographie indicative :
PAU, B., Le ballet des morts : Etat, armée, familles : s’occuper des corps de la Grande guerre, Vuibert, 2016.

7-B. Quand la mode nous éclaire sur le deuil - Sophie KURKDJIAN

Rappel : 600.000 veuves de guerre à l’issue du conflit et 850.000 orphelins.
Très vite (1917) on instaure les règles d’un deuil correct dans les journaux spécialisés comme Fémina.
Il y a cependant très vite aussi un fossé entre la théorie et la pratique.
Le deuil est un marquage de temporalité et un marquage social.
Paradoxe : le noir du deuil sépare en même temps qu’il marque la disponibilité de la femme (remariage).
La presse féminine de mode reflète le paradoxe. On est censé s’éloigner des relations sociales mais les modèles présentés rendent compte d’une certaine vanité de la veuve.
Se met en place une industrie commerciale du deuil autour des trois temps : grand deuil, demi deuil et deuil.

Problème de l’adéquation entre un respect du deuil avec des codes vestimentaires exigeants et la nécessité de travailler (conductrices de tramway, livreuses des grands magasins, ramoneuses, obusettes) et donc simplification, adaptation des modes au quotidien. On reste aussi moins longtemps à la maison.

Des tensions aussi. Des femmes très visibles dans l’espace public. Accusées de ne pas respecter le mort. (Cf. caricature des "veuves joyeuses" dans le journal "La baïonnette" en 1917)
On retrouve pour la tenue de deuil, les mêmes enjeux que pour les tenues d’infirmières. Tensions entre les codes, la tenue et la mode.
Les veuves "à la mode" sont les cibles des hommes et des permissionnaires. Les veuves "visibles" sont accusées de mettre en avant leur disponibilité.

La couleur noire se répand après la guerre. Alors même qu’on revient à la couleur, Chanel prime le noir comme marque d’élégance. Dans les années 1920, la "petite robe noire" fait son apparition chez les élégantes.

Bibliographie indicative :
Le chic français : Images de femmes 1900-1950, Collectif (Dir. William Saadé), Coll° CATAL DE MUSEE, Snoeck, 2017.

8. Après-guerre, quelle(s) familles(s) ?

8-A. Familles et politiques natalistes dans l’entre-deux-guerres - Jean-Yves LE NAOUR

D’un point de vue démographique, la fin de la guerre est à l’alarmisme.
Aux morts de la guerre se sont ajoutés les 100.000 décès de la grippe espagnole et se profilent la hantise des classes creuses. Le ratio H/F est déséquilibré. Tout porte à croire que l’avenir démographique de la France sera sombre et pour de nombreux observateurs, la dépopulation pourrait aboutir ni plus ni moins qu’à la disparition de la France.
L’angoisse est née à la fin du XIXème siècle déjà. Certains dénoncent le tempérament malthusien des Français.
Le taux de natalité français est le plus bas d’Europe et certaines années le TAN est même négatif (1911). "plus de cercueils que de berceaux"...
Dans le même temps, la population allemande croît.
En millions d’habitants :
1800 : France (30) / Allemagne (20)
1870 : France (38) / Allemagne (39)
1914 : France (39) / Allemagne (65)

Pour Jacques Bertillon fondateur en 1896 de l’Alliance nationale, aucun doute, "la France sera remplacée".
Causes avancées par ces alarmistes :
 l’affaiblissement religieux
 l’individualisme
 l’égalitarisme
 le féminisme
Des ligues pendant la guerre : Pour la vie (Paul Bureau) et La plus grande famille en 1916, Droits de la famille en 1918. Elles font du lobbying.
Pourtant en 1920-21, le taux de natalité augmente. Un record est même enregistré en 1921 (21°/00). Mais dès 1922, il redescend à nouveau et reprend la tendance d’avant-guerre.
En Allemagne en 1920, c’est très différent : 1,6 millions de naissances.
Il faut donc réagir ! La droite surtout le clame. On voit ressurgir les conceptions contre révolutionnaires notamment chez les familiaristes (la famille, fondement de la société et pas l’individu). Les natalistes (républicains de droite et de gauche) moins radicaux s’inquiètent aussi de ces évolutions démographiques.

Quelles mesures ?
Des mesures symboliques :
 Alexandre Millerand devient parrain des familles nombreuses
 une journée pour honorer les mères est instituée
 la médaille de la famille nombreuses est instaurée dans 2.000 communes en 1925

Des mesures répressives :
 Loi du 31 juillet 1920 interdisant la propagande anticonceptionnelle (prison, amende) ; Provocation à l’avortement punie de 6 à 3 mois de prison. La loi passe très largement (521 voix "pour" ; 55 voix "contre")
 Renforcement de la lutte contre l’avortement. Les avorteuses comme les avortées sont considérées comme traitres à la Nation. L’avortement passe du crime (assises devant jury populaire) au délit, en correctionnel ce qui permet de mieux contourner les acquittements souvent prononcés par les jurys populaires, notamment pour les avortées qui éveillent, chez eux, de la compassion.

Des mesures politiques :
 Le vote familial revient (idée de 1848) avantageant les père de famille nombreuse puisque le père a autant de voix qu’il a d’enfants. Mais il ne passe pas et le projet est finalement enterré en 1924.
 Certains envisagent même de faire voter les morts pour la France (M.Barrès en 1916) avec un second vote porté par le père ou la veuve du défunt.
La famille devient un thème politique.
Bénéfice pour la famille ? Droit aux allocations familiales dans les années 1930.
La politique familiale est donc fille de la guerre.

9. Les familles à travers les documents des Archives départementales de Seine-et-Marne - Lucie BERGONT et Olivier PLANCKE

Présentation de documents du fonds.
 Alfred HENRI, curé d’Egreville. Journal/récit
 Le Publicateur de l’arrondissement de Meaux. Le maire, Georges LUGOL s’engage à bien traiter ceux qui restent. Mise en place d’un comité de soutien aux familles endeuillées.
 Des documents prouvant les besoins de familles nécessiteuses (lettre de réclamation au Préfet) et la mise en place d’allocations.
 Affiche de la Red Cross (philantropie internationale) ? Don aux familles françaises (100,00 FR. par famille). Provins, 7.500 familles bénéficiaires gérées par les pouvoirs publics.
 Cartes postales. Echange père/fille et réutilisation de la carte (écriture entre les lignes du premier envoi.
 Famille Fosse à Melun, en photographie.
 Correspondance de Mme Jacquemaire-Clémenceau (fille de Clémenceau) proposant la mise en place de classes marraines de guerre et parrains de guerre dans les écoles.
 Rédactions d’élèves sur le retour du soldat, des exercices de calcul (temps pour creuser une tranchée), morale, reflétant le rôle de l’école en temps de guerre.
 La mort du soldat. Cas de Charles Péguy. Correspondance de Charlotte Péguy. Comment est-il mort ? où est-il ?
 Association : L’Union des pères et mères dont les fils sont morts au champ d’honneur.
 Récupérer les corps. Des lettres aux autorités préfectorales. Des réponses négatives des autorités militaires.
 Journal "Le Seine-et-Marnais". Publicité de transports funéraires.
 Orphelins . 3.000 à 5.000 en Seine-et-Marne. Philantropie internationale. Demande de jeune fille (orpheline) pour emploi auprès d’un enfant aux États-Unis. Journée de l’orphelin. Insignes en carton contre dons.
 Pupilles de la Nation. Loi du 27 juillet 1917 instituant les pupilles de la Nation. Office départemental créé en 1918 en Seine-et-Marne. Demande d’une mère pour son enfant/jugement du tribunal civil de Meaux.
NB On est pupille jusqu’à sa majorité (21 ans) ou pour les garçons après avoir été libéré du service national. Valable aussi pour les enfants d’invalide ou mutilé de guerre. Donc on peut être pupille en étant né après la fin de la guerre.
 Ecoles pour les orphelins et pupilles (photographies) à Avon (école Uruguay-France), à Samoreau, à Champagne-sur-Seine.

Pour aller plus loin...
NB des documents numérisés : site Europeana.
http://archives.seine-et-marne.fr/centenaire-de-la-grande-guerre

10. Rappel des thématiques des éditions précédentes de l’université d’été du musée de la Grande Guerre. (et liens vers les conférences audio ou filmées par l’APHG)

2013 - "Les origines de la Grande Guerre" http://edu.museedelagrandeguerre.eu/content/144
2014 - "La guerre telle qu’on ne l’attendait pas" https://bit.ly/2L0Kl3G
2015 - "Mers et océans" https://bit.ly/2uwP0PY
2016 - "Guerre industrielle et expérience combattante" http://edu.museedelagrandeguerre.eu/content/293
2017 - "1917, l’Année de tous les dangers" http://edu.museedelagrandeguerre.eu/content/338