Deux socialismes antagonistes ? SPD et SED dans les années 1950

03 / 06 / 2015 | Olivier COQ | Aude CHAMOUARD

Un groupe de professeurs investi dans le travail de liaison secondaire/supérieur a produit des propositions de séances destinées en AP aux élèves qui ont de l’appétence pour l’histoire et la géographie.
Il s’agit soit d’approfondissement, soit de "pas de côté", mobilisant des réflexions et des compétences qui seront ensuite développées au cours des études universitaires.
Ces propositions ont bénéficié du regard d’universitaires en poste dans les universités cristoliennes.

Liaison Secondaire Supérieur

Titre de la séance : deux socialismes antagonistes ? SPD et SED dans les années 1950

Démarche :

Cette séquence a pour objectif d’étudier sur un horaire de trois séances de 55 minutes deux textes représentatifs de la division du socialisme allemand dans les années 1950. L’objectif sera, à partir d’une grille commune, de les mettre en perspective, afin de saisir les évolutions spécifiques de l’idée socialiste, ses applications dans le réel, d’un côté et de l’autre, du rideau de fer.
Après un bref rappel du contexte, nous proposons d’étudier un extrait du Congrès de Bad Godesberg puis une chanson socialiste datant de 1950, l’hymne du SED. A l’issue de ces études, une synthèse sera proposée pour esquisser les évolutions divergentes des deux socialismes.
L’exercice proposé est la construction d’un tableau permettant de réviser la méthode du commentaire. Le premier document (Congrès de Bad Godesberg) a vocation à être mis en perspective avec deux types de principes : les principes du marxisme d’une part, les principes de la démocratie mise en œuvre en RFA. Derrière cette double interrogation affleure la question fondamentale du « socialisme démocratique », qui s’est posée de manière implicite ou indirecte depuis la fondation même du SPD, et qui s’est posée dans bien d’autres pays où les mouvements socialistes furent en contact avec la démocratie (France, Grande-Bretagne). L’hymne du SED sera confrontée au modèle soviétique pour tâcher de mettre en évidence l’imitation de ce modèle en RDA.

Capacités et méthodes

Cet exercice propose de faire travailler les compétences suivantes, inscrites dans le cadre du baccalauréat :
1) Cerner le sens général d’un document ou d’un corpus documentaire et le mettre en relation avec une situation historique
2) Rédiger un texte ou présenter à l’oral un exposé construit et argumenté en utilisant le vocabulaire historique et géographique spécifique.

Dans le cadre de l’articulation avec l’enseignement supérieur, cette séquence a pour ambition de faire travailler l’épreuve du commentaire de texte aux élèves. Ce travail contribuera bien sûr aussi à l’épreuve sur document en histoire dans le cadre du baccalauréat ES et L. Le commentaire semble en effet constituer une méthode non acquise par les élèves de terminale et qu’il leur sera demandé de pratiquer dès leur entrée dans un cursus d’histoire à l’université.
L’analyse des documents sous forme de tableau peut contribuer à faire distinguer le commentaire du document de la paraphrase, trop souvent pratiquée. D’autre part, il contribue à mettre en relation le document et les connaissances des élèves, ce qui pose souvent problème aux élèves. Enfin, en posant deux problématiques précises, nous invitons à réfléchir et analyser un sujet ainsi qu’à sélectionner les informations pertinentes dans un document en fonction de cette réflexion. En séparant les trois étapes distinctes que sont la citation, l’analyse et l’interprétation, nous espérons contribuer à faire progresser les élèves sur cette épreuve complexe du commentaire.
L’analyse explicite la citation, elle explique les références et ce qu’il faut entendre par les expressions citées en fonction des connaissances des élèves. L’interprétation s’inscrit dans la problématique posée et entend démontrer en quoi la citation choisie permet de construire un argument dans le cadre de cette problématique.

En fonction du niveau des élèves et de la connaissance du chapitre, le professeur pourra annoncer les thèmes à rechercher dans le cadre de la problématique de « socialisme démocratique » et de « socialisme d’imitation soviétique », ou proposer quelques citations que les élèves devront eux-mêmes commenter dans le tableau. Pour les classes les plus avancées, le travail sur le tableau doit aboutir à l’élaboration d’un plan structuré pour un éventuel commentaire. Les citations sont ainsi classées en thèmes permettant ensuite un passage aisé à une rédaction sous forme de paragraphes du commentaire.

Bibliographie :

Manuels
Sandrine Kott, Histoire de la Société Allemande au XXème siècle, la RDA, 1949-1989, Paris, La Découverte, 2011.
Alain Lattard, Histoire de la Société Allemande au XXème siècle, la RFA, 1949-1989, Paris, La Découverte, 2011.
Francis Lachaise, Histoire des idées politiques en Allemagne – XIXe et XXe siècles, Paris, Ellipses, 2004.

Articles spécialisés
Michel Christian et Emmanuel Droit, « Écrire l’histoire du communisme : l’histoire sociale de la RDA et de la Pologne communiste en Allemagne, en Pologne et en France », Genèses, 2005/4 no 61, p. 118-133.
Karim Fertikh, « Bad-Godesberg dans le langage social-démocrate en 1959 », Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique, n°114 (2011), p 137-151.
Sandrine Kott, « Le don comme rituel en R.D.A. 1949-1989 », Le Mouvement Social, 2001/1 no194, p. 67-83.

Vous montrerez en quoi le SPD tente de construire un socialisme démocratique en opposition avec le modèle communiste.

Document 1 : Programme du Congrès de Bad Godesberg

Télécharger le document 1

Extrait du Congrès de Bad Godesberg

Éléments de contexte sur le Congrès de Bad Godesberg
Le SPD ou parti social-démocrate allemand a constitué le plus puissant des partis socialistes en Europe. Dissout sous le régime nazi, il renaît dès l’après-guerre sous la direction de Kurt Schumacher, mais doit rapidement s’adapter à la logique de guerre froide qui s’impose à l’Allemagne dès 1947. Ce document, extrait du Programme de Bad Godesberg de 1959 témoigne de cette nécessaire adaptation.
En 1959, le SPD traverse une grave crise. Malgré sa renaissance en 1945 et ses bons scores aux élections législatives, il reste durablement exclu du pouvoir politique, la chancellerie étant contrôlée par le parti démocrate-chrétien, la CDU. Ces échecs consécutifs s’expliquent largement par un contexte de guerre froide. Depuis la guerre froide et la division de l’Allemagne en deux Etats antagonistes, la RFA (à l’Ouest) et la RDA (à l’Est), le discours marxisant du SPD en RFA ne suscite que craintes et réticences. En réalité, le SPD n’a pas su jusqu’en 1959 adopter de position claire vis-à-vis du régime Est-allemand, qui est censé s’appuyer sur le même corpus idéologique que lui. L’anticommunisme virulent de la classe politique ouest-allemande nuit clairement au parti, pensé comme un parti frère par rapport au SED d’Allemagne de l’Est. A l’ouest en effet, le parti communiste a été interdit et le SPD fait figure de parti extrême aux yeux de la droite allemande notamment.
Ce programme de Bad Godesberg a ainsi pour mission d’adopter une position officielle vis-à-vis du régime Est-allemand, et par là-même vis-à-vis du marxisme, d’où sa portée historique essentielle dans l’histoire du socialisme allemand. Il s’agit du premier programme rédigé par le SPD depuis 1925. L’historiographie récente tend cependant à nuancer le statut de rupture historique de ce programme avec le marxisme. Plus qu’une rupture, ce texte est une adaptation du marxisme à la situation contemporaine de l’Allemagne. Il faut ainsi se garder d’une lecture rétrospective du congrès, qui en ferait le moment annonciateur de la grande coalition SPD-CDU de 1966 et de la victoire du SPD en 1969. Bad Godesberg fait figure de « modernisation sans subversion », la tradition est invoquée et respectée au nom d’une adaptation nécessaire.

Éléments de problématisation sur le sujet
Par socialisme démocratique, on peut entendre deux points distincts :

  • D’une part, l’idée que le SPD se revendique comme un parti démocratique parce qu’il accepte en son sein la discussion et les tendances (à l’image d’ailleurs des autres partis socialistes européens). Cette caractéristique s’inscrit dans l’origine même du parti qui est une synthèse de deux tendances du socialisme allemand.
  • D’autre part, l’idée que le SPD post-1945 assume un ralliement complet au régime démocratique, ce qui n’avait pas été explicite auparavant.
    Ces deux points s’inscrivent implicitement en opposition avec le modèle du socialisme en RDA, d’imitation soviétique.
    Par socialisme d’imitation soviétique, on entendra la reprise partielle ou complète des éléments présents au sein du régime totalitaire soviétique :
     Le parti (unique) est conçu comme le cœur de la vie politique.
     Le régime, via le parti, entend créée un homme nouveau
     Le régime exerce un forme contrôle social sur la population.
Tableau à compléter
Résumé
Citation Analyse Interprétation

Télécharger le corrigé

Tableau complété

Après cette lecture essentiellement linéaire, un éventuel commentaire pourrait être structuré autour des grandes idées suivantes :

  • Le socialisme allemand est démocratique car le parti est structuré de manière démocratique et accepte le dialogue (citation 1)
  • Le socialisme allemand est démocratique car le SPD assume par ce congrès son ralliement officiel au régime démocratique de RDA (citations 2, 9 et10)
  • Le socialisme allemand prend ses distances avec certains éléments doctrinaux du marxisme tout en ne rompant pas officiellement avec cette idéologie (citations 6, 7, 8, 9)
  • Le communisme est une déviation de la doctrine socialiste (citations 4,5)
  • Le communisme est un régime dictatorial qui annihile toute liberté individuelle (citations 3 et 11)

Télécharger La chanson du parti

La chanson du parti

Eléments de contexte l’écriture de cet hymne
RFA et RDA apparaissent en 1949. La RDA, communiste, est dirigée par le SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, Parti socialiste unifié d’Allemagne), issu de la fusion de 1946 entre les partis socialistes et communistes (SPD et KPD).
Parti totalement dominant (mais pas parti unique, il en existe d’autres en RDA, et même une CDU !), le SED est aussi un parti de masse, ce dont témoigne le tableau suivant, dont les chiffres doivent être rapportés à une population totale variant entre 16 et 18 millions d’habitants :

En 1949, à l’occasion du congrès du parti communiste tchécoslovaque, Louis Fürnberg, tout à la fois écrivain, journaliste, compositeur et diplomate tchèque de langue allemande compose une chanson qu’il appelle Le Parti. La chanson a peu de succès à Prague mais devient l’hymne officiel du SED en 1950 lors de son IIIème congrès, sous le nom de Chanson du parti ou Le parti a toujours raison.
Le texte sera légèrement remanié après le XXe congrès du PCUS qui initie la déstalinisation, mais on en étudie là la version initiale.
Eléments de problématisation sur le document
Le système qui se met en place à l’Est est largement inspiré, dans son fonctionnement, du modèle soviétique et cet hymne en porte la marque. C’est cette fidélité proclamée qui va faire l’objet de notre étude. On en analyse les traits suivants :
  Le rôle et la place du Parti dans la société.
  La proclamation de ce que doit être l’action d’un Etat communiste, en référence à la fois aux principes marxistes et à la politique menée en URSS.
  L’ambition, à travers le parti et la politique qu’il mène à la tête de l’Etat, de faire émerger un homme nouveau, l’homme socialiste.
  On n’oublie pas la nature du document, hymne officiel, qui ne décrit pas une réalité sociale mais assène des idéaux.

Télécharger le tableau complété

Tableau complété

Suggestion de plan pour un commentaire non-linéaire

  • I. Le parti au cœur de l’État et de la société
  • II. Un parti fidèle aux idéaux marxistes et à la pratique soviétique
  • III. Un parti au service de l’ambition prométhéenne d’un homme nouveau dans une société nouvelle.

Conclusion :

  Il faudrait ajouter au texte un élément important : la chanson était-elle chantée ? Connue ? Si elle était chantée, quand l’était-elle ? En effet, il y a de nombreux travaux sur l’importance des rituels dans les démocraties populaires qui nous permettent de mesurer l’attention accordée à ces moments cérémoniaux. Sandrine Kott : « De nombreux travaux ont étudié les rituels politiques en RDA comme un instrument d’exercice du pouvoir dont la puissance émotionnelle constituerait un élément de construction de la communauté du peuple [Vorsteher, 1996 ; Fix, 1998]. Si les grands rituels politiques des années 1950 témoignent d’une réelle volonté combative et visent à transmettre un sentiment de puissance, celle-ci s’atténue progressivement dans les décennies suivantes. Par ailleurs, en insistant trop exclusivement sur les intentions des faiseurs de rites, on risque de ne pas comprendre quels ont été les vrais effets sociaux de la ritualisation quotidienne de la vie sociale. »
  En effet, il faudrait pour prolonger l’étude, un aperçu des pratiques sociales. La chanson affirme, proclame, propose un idéal. Mais qu’en est-il de leur effet sur le réel ? Sont-ils en adéquation ou décalage avec l’expérience vécue des Allemands de l’est ? Des membres du SED et des autres ?
  La chanson a trouvé un écho étrange, en cette même année 1949, puisque c’est l’année de parution de 1984 d’Orwell, où on chante des Chants du parti étrangement proches, vantant entre autres l’infaillibilité de Big Brother.