Géographie du souvenir : Ancrages spatiaux des mémoires de la Shoah de Dominique Chevalier (2017)

09 / 05 / 2019 | GOURGUECHON Christophe

L’ouvrage de Dominique CHEVALIER entend rendre compte de la diffusion des « lieux de mémoires » et du processus de mondialisation des mémoires de la Shoah. Il s’inscrit dans le prolongement de la réflexion portée sur les musées et mémoriaux depuis la fin des années 1990, dans la problématique du musée comme objet géographique, faisant suite aux études précédentes menées autour de leur fonction idéologique, des représentations qu’ils génèrent, et de leur rôle dans l’émergence des identifications collectives. Mais l’ouvrage se veut aussi un prolongement de la réflexion sur le musée comme lieu géographique de mémoire. Dominique CHEVALIER a cherché ici à « montrer combien la mémoire constitue (aussi) indéniablement un objet spatial » (p.209)

Plusieurs notions structurent l’étude menée par l’auteure. Tout d’abord, en géographie, la territorialité et la territorialisation interrogent sur les relations que les sociétés entretiennent avec l’espace et comment elles fabriquent des territoires répondant à leurs besoins. Des notions familières à tout enseignant qui travaille en classe sur la notion d’habiter et plus largement sur les pratiques humaines de l’espace. Ensuite, en histoire, les régimes de mémorialités et les processus de mémorialisation posent les questions inhérentes à la relation que les sociétés entretiennent avec les mémoires auxquelles elles s’identifient et qui participent de la fabrication de leur identité. En cela, l’ouvrage de Dominique CHEVALIER poursuit la réflexion sur les processus de construction de la mémoire qui eux aussi sont au cœur de plusieurs thèmes dans nos programmes. La force de la démarche de l’auteure est d’articuler les notions des deux disciplines.

Par ailleurs, l’étude des lieux géographiques de la mémoire est ici portée par une démarche multiscalaire, de l’échelle de l’individu (témoin, rescapé ou simple visiteur), jusqu’à l’échelle planétaire en dressant un tableau géographique de la mémoire de la Shoah dans le monde. Pour ce faire, divers exemples sont mobilisés. Des lieux « in situ », lieux témoins, en Pologne, Allemagne, Hongrie et des lieux « ex situ », en Israël, aux Etats-Unis, mais aussi en Afrique du Sud, Australie ou Chine. Le cas de la crypte du mémorial de la Shoah à Paris illustre particulièrement ce jeu d’échelle et apparaît comme un « modèle syncrétique des lieux » (p.86).

A l’échelle intermédiaire du lieu, est notamment posée la question des pratiques spatiales du visiteur, induites par les choix muséographiques et architecturaux, mais l’ouvrage montre aussi, comme pour tout autre aménagement, ce qui se joue entre les acteurs, du débat aux conflit d’intérêt et d’usage. C’est autour de ces enjeux aussi que ces exemples peuvent être mobilisés dans la classe pour mettre en œuvre une démarche systémique.

Enfin, l’auteure questionne sur les processus de patrimonialisation et de marketing territorial autour de projets muséographiques conçus souvent par des starchitectes renommés. En cela les musées et mémoriaux dédiés à la Shoah constituent aussi des ressources touristiques matérielles et immatérielles.

L’ouvrage de Dominique CHEVALIER encourage donc à renouveler nos objets d’étude jusque dans la classe pour traiter de manière croisée de diverses problématiques tant géographiques qu’historiques.

Christophe GOURGUECHON
Enseignant Histoire-Géographie au lycée Jean Vilar de Meaux (77)