Séminaire pédagogique "Les sorties de guerre au XXe siècle"

22 / 06 / 2018 | NADAUD-GIRARDIN Yann-Gaël

Afin de promouvoir la recherche et l’actualité scientifique en lien avec la Première Guerre mondiale, le musée de la Grande Guerre et l’Inspection pédagogique régionale ont proposé le 16 mai 2018 un séminaire pédagogique à destination du public enseignant.

Ce séminaire, prévu dans le cadre de la formation de professeurs d’histoire, s’est organisé autour d’une mise en miroir des conflits 1914-1918 et 1939-1945, et a abordé plus particulièrement les thèmes des sorties de guerre et de la construction de la paix après les deux conflits mondiaux.

Comment rendre compte du processus long et complexe de sortie des deux guerres mondiales en Europe ? Les décisions prises au lendemain des guerres puisent-elles dans une tradition diplomatique ou inventent-elles de nouveaux rapports entre États à travers la mise en place du principe de sécurité collective ? Dans quelle mesure les sociétés retournent-elles à un ordre civil après une guerre totale ?

Ces questions liées aux sorties de guerre ont fait l’objet d’un important renouvellement historiographique ces dernières années.

Durant cette journée riche en enseignements, plusieurs intervenants se sont relayés pour permettre aux professeurs présents de mieux saisir ce renouvellement historiographique tout en proposant des possibilités d’adaptations pédagogiques pour le public lycéen.

Listes des intervenants

AGLAN Alya, Université Paris I La Sorbonne
CABANES Bruno, Ohio State University
DELELIS Sébastien, professeur d’histoire-géographie, professeur relais auprès des Archives Diplomatiques
GICQUEL Guillaume, professeur d’histoire-géographie, Académie de Créteil, formateur académique, (Créteil).
JOLIVET Bertrand, professeur d’histoire-géographie, Académie de Créteil, formateur ESPE (Paris).
LAFON Alexandre, conseiller pour l’action pédagogique et conseiller historique pour la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale
MITZINMACKER David, Professeur d’histoire-géographie, Professeur relais auprès du Musée de la Grande Guerre
PERRETEN Aurélie, Directrice, Musée de la Grande Guerre
SMITS Florence, Inspectrice générale de l’Education nationale
SUMPF Alexandre, Université de Strasbourg

1. "Sortir de la guerre" : une nouvelle approche des transitions de la guerre vers la paix - Bruno Cabanes

Pour Bruno Cabanes, le thème a émergé il y a une quinzaine d’années. En effet, l’historiographie a longtemps été focalisée sur la question des origines lointaines, des causes immédiates ou des responsabilités dans le déclenchement des conflits.
C’est la thèse d’Antoine Prost dans les années 1970 qui permet le basculement d’une histoire diplomatique à une histoire sociale de la guerre.

 Enjeux de l’après-guerre des guerres totales
On assiste alors à une transition entre l’histoire démographique et la prise en compte des réalités culturelles. Il y a ainsi une prise de conscience du poids des morts sur les vivants. La Première Guerre mondiale fait donc le lien entre histoire globale et histoire familiale.
L’enjeu est également de redéfinir les notions de "victoire" et de "défaite" qui, en 1918, apparaissent compliquées (ex : armée allemande invaincue ou "victoire mutilée" des Italiens). En 1945, la notion plus claire pour les Allemands ou les Japonais mais pas forcément pour les Français dont la victoire n’est pas totale.
Les chronologies se trouvent emboitées d’une nouvelle manière. On ne peut plus dater précisément les débuts de l’après-guerre : 1917, 8 août 1918, conflits postérieurs à 1918 (guerres civiles en Finlande, en Russie, guerre gréco-turque, etc.) qui font plus de victimes que la Première Guerre mondiale par exemple.

 De l’après-guerre à la sortie de guerre
B. Cabanes note un brouillage de la frontière entre guerre et paix puisque l’on note une présence de la guerre en temps de paix. Ainsi la paix n’est plus définie par l’absence de guerre.
La sortie de guerre n’est pas un moment mais plutôt une transition. De plus, on ne sort pas de la guerre partout au même moment.

 Vainqueurs et vaincus
Ce sont les vainqueurs qui ont la maitrise du temps et de l’espace : ils
Définissent le calendrier des négociations de paix et les rituels qui y sont associés
Déterminent les règles de la démobilisation (ex : retour des prisonniers allemands en 1920)
Fixent les limites de la normalisation des vaincus
Redessinent les nouvelles frontières
Imposent leur lecture du conflit

 Violence d’après-guerre : essai de typologie
La sortie de guerre apparait véritablement comme difficile à définir car la violence se perpétue, comme dit précédemment, même en temps de paix.
La défaite allemande se traduit en France par la chasse aux collaborateurs, l’expulsion des Alsaciens ou encore l’occupation de la Rhénanie.
La culture de guerre se trouve réinvestie dans les luttes entre mouvements révolutionnaires et contre-révolutionnaires (ex : techniques de combats et armements réutilisés dans la répression des Spartakistes).
On assiste aussi à de nombreuses violences ethniques dans le Caucase, en Pologne ou dans les Balkans ou encore à des troubles dans l’espace impérial (ex : Inde ou Chine).

2. Construire la notion de "sortie de guerre" avec les élèves - Bertrand Jolivet et David Mitzinmacker
en attente de publication

3. Table-ronde : Construire la paix - Bruno Cabanes, Alexandre Sumpf, Alya Aglan

Comment construit-on la paix à la fin de la Première Guerre mondiale ?

- Par le traité de Brest-Litovsk
Les Russes ont mobilisé 16 millions de combattants pour un conflit qui ne s’est jamais déroulé sur le territoire. Selon Alexandre Sumpf, c’est durant la guerre que se créent les problèmes que la Russie va rencontrer par la suite.
Pour les Russes, la paix est une revendication qui arrive très tôt (dès 1916). La paix c’est un désir profond des soldats, des paysans, des ouvriers et des révolutionnaires. Lénine va théoriser une autre forme de paix, qui pour lui est un moyen de poursuivre la révolution par l’importation de la guerre civile en Russie. Selon lui, il faut faire la paix avec l’ennemi extérieur pour combattre l’ennemi intérieur. Position qui va finir par coïncider avec le pacifisme des tranchées. Le traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918 va être dramatique pour la Russie car il va enflammer la guerre civile et ouvrir la voie à l’implosion de l’empire.
Les élèves doivent donc avoir à l’esprit qu’il est difficile de sortir de la guerre totale, surtout pour les soldats russes.

  Par le traité de Versailles
Il s’agit du premier traité global et perçu globalement qui a des conséquences directes sur des millions de personnes et dont les décisions sont attendues partout.
Ce traité a pour objectif une refondation du monde voire même, selon Wilson, une reconstruction du monde.
Plusieurs courants historiques se sont intéressés au sujet. Les historiens diplomatiques ont véhiculé l’image formelle de ce traité. L’histoire culturelle travaille, elle, sur la question de sacrifice (idée que les victimes ont des droits). Les attentes du traité sont énormes et il y a une tension entre l’action diplomatique et les attentes des victimes. On voit également aujourd’hui un travail et une relecture sur la modernité de la SDN (accueil et gestion des réfugiés, professionnalisation de l’aide humanitaire, travaux sur l’OIT...).
Enfin, il intéresse aussi l’histoire globale car l’échec de ce traité est un échec important en Asie. Versailles, ce sont aussi des centaines de messages, des lobbys venus du monde entier et donc cet échec est surtout celui des attentes du monde vis-à-vis de ce traité.

 Par la Société des Nations (SDN)
Il y a de grands espoirs suscités par la SDN dans les années 1920-1930, mais aussi par le mouvement européiste. Le but est de construire les États-Unis d’Europe. Cette pensée qui a une survivance dans les mouvements clandestins durant la Deuxième Guerre Mondiale et perdure durant la courte période entre 1945-1947.
La paix se construit aussi dans la guerre. Hitler aime la paix comme Guillaume II et, en 1935 et 1939, il prononce de grands discours sur la paix.
A l’échelle nationale, on prépare non la paix mais la libération. La paix se définit donc par la libération et la préparation de l’épuration.
A l’échelle mondiale, il y a une grande demande de justice sociale et d’une organisation mondiale qui disqualifierait la guerre. La paix se définit donc par la notion de jugement (Nuremberg et Tokyo).

4. Mettre en récit une situation historique avec les élèves sur le thème : "De la SDN à l’ONU, la difficile mise en place du principe de sécurité collective" - Bertrand Jolivet et David Mitzinmacker
en attente de plublication

5. Présentation des archives diplomatiques - Sébastien Delelis
De nombreux documents utilisables par les élèves sont disponibles au centre d’archives de la Courneuve.
Il existe des fonds sur les différents services consacrés aux paiements notamment ou encore le fonds russe consacré au service des Français "égarés" en Russie. Il est possible de réaliser une mise en oeuvre pédagogique à l’aide de ces documents par la participation au concours du jeune diplomate organisé par les archives diplomatiques.

6. "Démobiliser ? Quand civils et combattants se "retrouvent" - Bruno Cabanes, Alexandre Sumpf, Alya Aglan

Question de départ : Quelles sont les difficultés rencontrées par rapport aux démobilisations ?
 En Russie, la sortie de guerre est un processus long et douloureux. Il y a eu d’abord un phénomène important de désertion et plusieurs mouvements de soldats. Cela a permis aux bolchéviques de véhiculer le mythe du soldat déserteur propageant la révolution dans les campagnes. Certains ont même été remobilisés selon la classe (les ouvriers notamment) jusqu’à une nouvelle mobilisation générale en septembre 1918 dans l’armée révolutionnaire.
De plus, pour le million d’invalides s’est posée la question des soins de suite, des pensions mais aussi du retour à la vie civile. Ce sont eux qui ont le plus changé d’horizon de vie après la démobilisation en restant vivre dans les villes notamment.

 Le retour à l’intime est également complexe car cette notion change, est bousculée par l’expérience de guerre. On assiste à des changements dans la société :

  • Changement des relations entre personnes avec par exemple des pères écrivant à leur enfant durant la Première Guerre mondiale
  • Changement du point de vue de l’espace avec des maisons et des villages entièrement détruits.
  • Changement du corps causé par les blessures ou l’expérience des situations extrêmes (froid, faim, saleté...)
  • Changement des sensibilités avec la confrontation à la mort de masse.
    Aujourd’hui le rapport à la mémoire a changé et certains mémoriaux à travers l’utilisation du nom permettent de penser aux morts malgré l’absence de corps.

 Pour la Seconde Guerre mondiale, il n’y a rien d’uniforme concernant la démobilisation. En effet, la chronologie s’avère multiple à travers les différentes libérations (débarquement en Afrique du nord, en Corse, en Provence, en Normandie...). En termes matériels, la période de la Libération est quasiment plus difficile que celle de l’Occupation et il faut attendre 1949 pour assister à la fin du rationnement. Il y a aussi la difficulté du retour des déportés qui ne sont qu’une minorité à rentrer.
La recherche historique actuelle s’est aussi intéressée aux prisonniers de guerre allemands restant en France, gardés par le gouvernement français pour favoriser la reconstruction. Il y a ainsi un intérêt certain pour les couples franco-allemands.
A l’échelle mondiale, il y a un gros chantier de la recherche sur la notion de réfugiés avec notamment 95 millions de réfugiés à l’échelle de l’Asie, 45 millions en Europe et presque 150 millions à l’échelle mondiale.

Autre question : Existe-t-il la même ferveur pour la Première Guerre mondiale en Russie, en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis ?
En Grande-Bretagne, la Première Guerre mondiale revêt une grande importance notamment à travers le mouvement des coquelicots rouges et par la présence nombreuse d’Anglais sur les lieux de mémoire de la Somme. Idem pour le Canada.
Aux Etats-Unis, il y a un intérêt historiographique croissant mais c’est récent et faible par rapport à la Seconde Guerre mondiale ou à la guerre de Sécession
 ?
En Russie, il n’existe pas de mémorial mais seulement des expositions temporaires car la question est complexe pour le pays. Il y a une récupération politique de la mémoire de cette guerre pour justifier l’annexion de l’Ukraine et les bombardements en Syrie.

7. Expliquer avec les élèves la conquête du droit de vote par les femmes en 1945 - Guillaume Gicquel

8. Les sorties de guerre : s’engager dans un projet pédagogique commémoratif en 2018-2019 - Alexandre Lafon

Pourquoi s’engager dans un projet commémoratif ? Enjeux et implication
1. Les commémorations de 1918-1919, d’importants enjeux contemporains
Des mémoires familiales, des mémoires locales, des mémoires nationales…
 Des mémoires généalogiques : carnets, correspondances, objets de souvenir, photographies
 Grande guerre présente dans l’espace proche des élèves : noms de rues, monument aux morts, noms de stades notamment dans le rugby, monuments spécifiques
 Présence culturelle et patrimoniale à travers les films ou les livres (ex : Au revoir là-haut)
 Des usages politiques encore importants : mise en scène du 11 novembre (jour d’hommage pour les « morts pour la France des conflits du XXe siècle »).
 La France = lieu de mémoire international

2. Une Mission du Centenaire pour une action pédagogique originale

 Mission interministérielle et transversale.
 Valorisation de projets labellisés (financements possibles)
 Des ressources pluridisciplinaires sur le site centenaire.org
 Les élèves, acteurs des cérémonies

3. Trois orientations pédagogiques pour 2018

 Deux dates symboliques à réunir
 Un calendrier national et international très dense
 Pour le premier degré : les enfants pour la Paix (élèves de CM2)
 Concours eustory (franco-allemand) : comment a-t-on construit la paix après la guerre ?
 Bilan du centenaire en avril 2019.

9. Les civils et les combattants dans les deux guerres mondiales - Alya Aglan

Il y a intérêt à comparer la Première et la Seconde Guerre Mondiale. Les thématiques et les problématiques sont communes mais il y a également des différences.
La notion de « sorties de guerre », qui est plurielle, est indéterminée et il faut à chaque fois préciser les bornes chronologiques de cette notion.
« Qui veut la paix prépare la guerre » et le séminaire du jour a permis de montrer que « qui fait la guerre veut la paix ». Cette acception est notamment vraie de part, l’utilisation du terme de paix armée durant l’entre-deux-guerres.
La recherche historique évolue aujourd’hui vers un décloisonnement temporel et géographique, notamment à travers l’étude de l’Asie dans l’historiographie de la Seconde Guerre Mondiale.
Il demeure malgré ce séminaire une interrogation quant à la fin d’une guerre. A quel moment a-t-on la conscience partagée que la guerre est finie ? Est-ce au temps de la liesse ou à celui de la fin des deuils ?
Ainsi cette notion de sortie de guerre doit être bien expliquée pédagogiquement parlant comme un moment qui n’est pas stable. Amener les élèves à travailler sur les documents, c’est les amener à penser par eux-mêmes et à donc à exercer leur liberté de citoyen.