Transports et mobilités : Dakar est-elle une ville en développement ?

17 / 01 / 2014 | Lamotte Alain

L’achèvement en aout 2013 d’une autoroute ouvrant Dakar sur l’extérieur en traversant sa banlieue symbolise la métamorphose que la ville a connue durant ces dernières années dans le domaine des transports. La meilleure mobilité qui en a découlé est perçue ici, non sans fierté, comme un incontestable signe de développement. Ce constat ne fait pas pour autant oublier que la capitale sénégalaise reste une métropole du "Sud", encore bien éloignée des critères de développement durable.

Situation d’enseignement :

Classe de 2nde, géographie
Chapitre : « Villes et développement durable ».
Une étude de cas dans un pays en développement
.
Thème principal : transports et mobilités.
Thèmes connexes : l’étalement urbain, aménager des villes durables ?

Prise en compte des prescriptions :

Extraits de la fiche Eduscol :
Le contexte d’un pays en développement : "dans les pays en développement l’urgence est de faire face à la croissance exponentielle et souvent incontrôlée sans les structures et les moyens adaptés."
Le choix du cas étudié (Dakar, qui n’est pas une mégapole) : "Il est possible de traiter en étude de cas des villes de dimension spatiale diverses, dès lorsqu’elles sont confrontées aux problématiques définies (forte croissance, intensité des mobilités,différenciation socio-spatiale)"
L’importance des héritages : "les modalités de la croissance urbaine constituent des freins puissants aux évolutions possibles en matière de gestion durable des aménagements."
"Il faut prendre en compte des héritages souvent lourds, des contraintes physiques et socio-économiques fortement différenciées."
La réflexion prospective  : "l’aménagement des villes ouvre sur une dimension prospective forte qui permet de positionner encore davantage la géographie dans les enjeux de son temps."

Repères

Dakar répond à des standards bien connus d’une capitale d’un pays en développement.
Avec 20% de la population sénégalaise sur 0,3% du territoire national, on est bien dans une situation type de macrocéphalie. Certes, les 2,5 millions d’habitants pour l’ensemble de l’agglomération sont loin des concentrations humaines des mégapoles subsahariennes de Lagos et Kinshasa. [1] Toutefois, avec un triplement de sa population sur les deux dernières décennies, Dakar a du faire face à un problème d’étalement urbain mal contrôlé, en banlieue en particulier.
Cette croissance non planifiée a eu notamment pour effet d’obstruer la sortie de l’agglomération enfermant ainsi Dakar dans son site de presqu’île.
Les mouvements pendulaires sont ainsi devenus un enfer quotidien pour une multitude, ce qui a considérablement renforcé la marginalisation de la banlieue, tant sur le plan de l’accessibilité que de la ségrégation sociale.
C’est dans ce contexte que l’achèvement à l’été 2013 du tronçon d’autoroute "Dakar-Diamniadio" prend toute son importance. Financé en grande partie par la Banque Mondiale, réalisé par la société française Eiffage, il n’a pu être exécuté que par la destruction d’une zone urbanisée, l’expropriation et l’indemnisation d’environ 1500 foyers. En favorisant la mobilité, cette ouverture constitue un indéniable progrès. Toutefois, la présence d’un péage pose aussi la question du coût de son utilisation dans un pays à faible niveau de vie. Economiquement rentable et socialement équitable, tels sont deux impératifs de développement souvent difficiles à conjuguer.
Il convient enfin de replacer cette réalisation d’envergure dans un contexte plus large de multiplication des voies rapides au sein même de l’agglomération depuis la fin des années 2000. Si la fluidité de la circulation s’en est trouvée améliorée, cette transformation n’en marque pas moins l’emprise croissante du règne de l’automobile au détriment de modes de transport alternatifs (ex : ferroviaire) et de la circulation à l’échelle des quartiers. Ceci soulève le problème du conflit d’usage des mobilités à différentes échelles (agglomération/quartier) et permet de réfléchir sur la question du développement en termes d’aménagement urbain. Au quotidien comptent la facilité de déplacement mais aussi le cadre de vie, le paysage et le lien social. A ce titre, une étude de cas sur une ville du Sud à l’image de Dakar peut offrir des points de comparaison édifiants avec une ville du Nord ou de pays émergent.

Mise en œuvre

Séance 1. Focus : une autoroute pour sortir Dakar de l’enfermement.

  • a) Mise en intrigue.

L’image Google Earth ci-dessous fait office de document d’accroche.

Autoroute mars 2011

. Télécharger le doc en format kmz :

Autoroute en construction

Datée de mars 2011 [2], elle montre de manière énigmatique une autoroute inachevée, barrée par un habitat dense et dont on imagine mal le prolongement.

La contrainte est ainsi concrètement perçue ; il faut admettre la nécessité de détruire le tissu urbain et susciter de légitimes interrogations :
 sur la notion d’utilité publique (le jeu en vaut-il la chandelle ?)
 sur la question d’un aménagement planifié et la responsabilité des pouvoirs publics (empêcher à temps que l’urbanisation spontanée ne colmate la sortie de la péninsule)
 sur les modalités et le coût de l’opération (expropriation, indemnisation, relogement).

Un cadrage similaire daté de mars 2013 nous fait prendre la mesure des travaux accomplis et du quasi achèvement de cette portion d’infrastructure.

Autoroute mars 2013

Un changement d’échelle s’impose alors pour percevoir cette infrastructure dans l’ensemble de l’agglomération : on fait observer la configuration liée à un site de presqu’île, l’étroitesse de son accès et le colmatage de l’espace par la densité du bâti.

Dakar, vue d’ensemble
  • b) Les enjeux d’un aménagement perçus à travers deux vidéos

Une vidéo sur le projet de construction (2003)

Voir lien

Ce document provient d’une source gouvernementale (APIX, l’équivalent sénégalais de la Datar en France) et présente avec des vues aériennes et images de synthèse les enjeux majeurs de la construction de l’autoroute. Les commentaires apportent des précisions éclairantes en termes de croissance urbaine et de temps de transport. (On peut se contenter des deux premières minutes).

Une vidéo sur l’autoroute en voie d’achèvement.
Voir lien.
Ces images et commentaires proviennent d’une visite de chantier organisée par l’entreprise Eiffage à destination des élèves du lycée français de Dakar (dec 2012).
Il soulignent les différents impacts de l’aménagement réalisé. Outre l’expropriation des populations, on évoque la contrainte surmontée des terrains inondables et l’effet de barrière sociale induit par la présence de l’autoroute ("pas de mur sans pont, respect des populations").

Ces séquences vidéo de courte de durée se prêtent volontiers à un échange entre professeur et élèves. On suggère que la trace écrite qui en résulte puisse être articulée autour de notions associées :
étalement urbain, mobilité (distance/temps de transport), contrainte (physique et humaine ; ancienne et nouvelle), aménagement.

Séance 2 : les modes de transports en question

Il s’agit ici de souligner la distinction- voire la dichotomie- entre voies de transport et modes de transports. La modernité de voies rapides ne change pas de façon radicale les modes de déplacement usuels qui continuent de caractériser une grande métropole d’Afrique subsaharienne.
A titre d’accroche, la vidéo de zébus traversant une 4 voies au cœur de l’agglomération illustre un singulier contraste entre tradition et modernité.

L’image ci-dessous [3] se prêtera davantage à une démarche d’analyse :

Gare routière à la porte du centre ville de Dakar

Le premier plan focalise d’emblée l’attention : la gare routière où s’entassent de manière désordonnée les mini cars Mercedes (appelés usuellement Ndiaga Ndaye) permet de se représenter concrètement le mode de déplacement de la majorité des Dakarois.
Aux 2ème et 3ème plans, on distingue le marché et les immeubles du centre ville qui renvoient à des fonctions de centralité et posent la délicate question de l’accessibilité.
La localisation via Google Earth contextualise l’observation.

Gare routière

Du gros plan à l’élargissement progressif du cadrage, on situe bien cette gare routière à proximité du centre ville, prise dans un étau d’agglomération, sans aucun raccord aux voies rapides.
A l’image on peut associer un article de presse sur le calvaire des transports.

Texte et schéma : le calvaire des transports

Mélanie Rieu [4] a proposé pour ses élèves la construction d’un schéma mettant en évidence des liens de cause à effet sur les mobilités urbaines et les problèmes persistants de saturation.
Telle est la réalité tenace de cette métropole d’Afrique de l’Ouest, encore piégée par le poids d’un hyper centre en fond de presqu’île, étouffée par la congestion, desservie par des modes de transport traditionnels qui contrastent fortement avec la modernité des nouvelles infrastructures.
A titre complémentaire, l’image ci-dessous peut être utilisée de façon évocatrice. [5]

Voie ferrée reliant Dakar à sa banlieue

Prise depuis l’autoroute en construction, elle montre symboliquement une voie de chemin de fer vétuste abandonnée à l’usage des piétons.
La liaison ferroviaire entre Dakar et sa banlieue existe pourtant bel et bien (elle porte le nom de "petit train bleu") mais se limite à un faible nombre de trajets le matin et le soir et se heurte à un problème de lenteur caractérisé.
Le contraste entre le ferroviaire délaissé et le développement des infrastructures routières met en évidence une priorité d’aménagement et un choix politique qui interrogent la notion de développement en termes d’environnement et de modèle urbain.
Voilà qui étaye davantage la problématique énoncée : avec son nouveau réseau de voies rapides, Dakar se présente-t-elle comme une ville en développement ? On l’a compris, la réponse ne peut qu’être que nuancée, sujette à débats.

Séance 3 : croquis de synthèse et finalisation de l’étude de cas.

Le croquis ci-dessous offre une vision synthétique de l’objet d’étude et répond à la problématique formulée.

Croquis version professeur

Pour permettre aux élèves de réinvestir des éléments des séances précédentes, on les incitera à participer à l’élaboration de la légende (en particulier dans les parties 1, 3 et 4), le professeur apportant pour sa part les indications complémentaires. [6]

Croquis version élève
Fond de croquis et légende à compléter.

En guise de bilan, on préférera la notion de développement vulnérable à celle de développement durable. Même en mutation, Dakar subit encore trop de pesanteurs dans le domaine des mobilités pour tendre vers un modèle d’aménagement soutenable. (Voir ci-dessous : un scénario pour l’avenir).

Piste d’évaluation.

Structurée et argumentative, la légende peut servir de support à la préparation d’une composition. [7]
Celle-ci permettra donc à l’élève de passer d’un langage à l’autre dans une démarche de raisonnement tout en réinvestissant l’analyse des documents étudiés en classe.

Prolongement : un scénario pour l’avenir.

Pour réfléchir virtuellement à ce que pourrait être cette métropole en développement durable, plusieurs professeurs [8] et élèves du lycée J Mermoz ont imaginé ce que pourrait être la ville du futur.

La ville du futur : le projet Dakar Teranga

. [9]

Le projet fictif "Dakar Teranga" [10] repose sur trois aménagements majeurs visant à soulager l’agglomération du trafic routier.
 une grande gare routière à l’entrée de la ville
 une liaison maritime avec la création d’un nouveau port de passagers
 un réseau de tramway desservant les endroits stratégiques de la ville (Université, stade, parc d’exposition, etc...)

Par ailleurs, l’immense réserve foncière de l’aéroport actuel-sans doutes bientôt disponible en raison de l’ouverture d’un nouvel aéroport hors de Dakar- a permis d’imaginer une "cité nouvelle" offrant des fonctions et agréments qu’ignore la ville actuelle.

Elargir et approfondir la question

 Le jeu complexe des acteurs dans le domaine des transports, J Lombard in Geocarrefour, 2006

 Comprendre l’origine du site de Dakar : analyse de documents d’archives extraits du site de la BNF.

 Comprendre l’organisation de Dakar à travers l’héritage colonial et les premiers développements de l’agglomération.

 L’impact social d’une nouvelle autoroute : analyse d’une affiche de programme immobilier

 La question du développement durable à Dakar perçue sous 3 angles (transports, société, environnement) : voir croquis.

Autres articles parus sur Dakar concernant le programme de 2nde.

 Croissance urbaine et inégalités socio spatiales : un espace urbain de plus en plus fragmenté, étude d’un quartier. (Ac Rouen)

 Les littoraux, espace convoité : l’aménagement d’un littoral urbain. (Ac Créteil)

 Les espaces exposés aux risques : la banlieue inondée de Dakar. (Ac Rouen)

[1Voir la carte des villes d’Afrique sur le site de la Documentation Française

[2Utiliser l’outil "historique"

[3Voir sur Panoramio

[4Professeure d’HG au lycée J Mermoz de Dakar

[5Voir sur Panoramio

[6On pourra visualiser l’effet de barrière induit par les voies rapides par la comparaison de deux photographies de plan identique à des dates différentes.

De la rue à la route : l’exemple des Almadies

[7Regrouper les parties 1 et 2 en une seule partie.

[8F Athenoux, technologie : M. Rieu et A.Lamotte, HG

[9Pour une bonne lisibilité du document, on conseille de tout décocher dans la barre latérale puis de cocher les éléments de manière progressive.

[10Teranga : terre d’accueil en wolof