New-York ville mondiale, géographie sonore

08 / 06 / 2015 | Mouez GHARBI | Hugo POULET

Un groupe de professeurs investi dans le travail de liaison secondaire/supérieur a produit des propositions de séances destinées en AP aux élèves qui ont de l’appétence pour l’histoire et la géographie.
Il s’agit soit d’approfondissement, soit de "pas de côté", mobilisant des réflexions et des compétences qui seront ensuite développées au cours des études universitaires.
Ces propositions ont bénéficié du regard d’universitaires en poste dans les universités cristoliennes.

Objectifs :

Par ce travail, nous entendons proposer aux élèves une réflexion sur ce que l’on nomme la ville mondiale ou globale et ses grandes problématiques, qui traversent le programme de géographie de la classe de terminale. Le cœur de notre séance invite à marquer un temps d’arrêt pour saisir les spécificités, particularités qui font la ville mondiale, et d’en comprendre les grandes questions sociales qui la traversent. Notre problématique envisage la ville mondiale comme un objet qui profite des nouveaux outils de la géographie pour être analysé, afin de mieux en saisir la plasticité.
La ville mondiale accompagne ou se retrouve dans les programmes du lycée, de la seconde à la terminale, dans le cadre très vaste des leçons sur la mondialisation ou des territoires gagnants ou perdants de celle-ci. Ici, nous faisons le choix de la géographie sonore pour mener une étude au raz du sol de la ville de New York, qui est abordée comme la vitrine des villes globales et en même temps un territoire des multiples inégalités et ségrégations socio-spatiales. L’utilisation des échelles allant du global au local, voire au quartier, doit permettre de mieux saisir la plasticité de ce territoire, et d’entrer dans la nuance, qui est l’essence même de la géographie. Précisons que ce travail offre la parole à la sociologie et même à l’Histoire, afin de mettre en valeur le caractère interdisciplinaire de nos savoirs, à l’instar des études menées par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Dès lors, il doit permettre d’entrer dans la « fabrique du géographe  » afin de mieux en découvrir les outils et les méthodes, avec comme marqueur, ici, les analyses proposées par Saskia Sassen.

New-York ville mondiale, géographie sonore
Hugo Poulet

Rendez-vous avec le programme/classe concernée

En classe de Terminale, on peut retrouver la ville de New-York lors de deux temps. Tout d’abord, dans le thème 2 Les dynamiques de la mondialisation, chapitre 4 Les territoires de la mondialisation, avec un focus sur une ville mondiale (étude de cas, New-York), et dans le thème 3 Dynamiques géographiques des grandes aires continentales, chapitre 6 dans la partie concernant les Etats-Unis d’Amérique. On peut ainsi ouvrir ce travail en utilisant un gradient multi-scalaire inscrivant New York à la fois à l’échelle urbaine et mondiale, et comme poumon de la Mégalopole américaine avec une ouverture sur la façade atlantique. De plus, en abordant ces grandes idées, cela semble être le bon moment pour approfondir, avec une étude plus sociale de ce(s) territoire(s), mettant en exergue les limites de ces recompositions urbaines qui accompagnent l’évolution rapide de ces grandes métropoles.
De plus, cette proposition peut être pensée en classe de seconde dans l’étude de la ville durable et de sa cohésion sociale, ou encore en classe de première dans l’étude des villes françaises, ou lorsque l’on se penche sur l’analyse et la logique des territoires du quotidien, et surtout dans l’étude de cas consacrée à Paris en fin d’année… Bien évidemment, en classe de terminale on peut prévoir cette grille d’analyse pour Londres.
Dans ce travail, nous proposons au professeur, dans le cadre d’une heure d’aide personnalisée, d’inviter les élèves à entrer plus en profondeur avec ce qui fait une ville monde, mais surtout d’y accéder par ce que l’on ne veut pas voir ou qui s’opère par le « consentement  » (nous faisons ici référence à l’ouvrage de Noam Chomsky, Manufacturing consent, ou La fabrication de consentement) et qui donne lieu à une véritable géographie des inégalités urbaines nourrie par la gentrification, le NIMBY et d’autres formes d’exclusions sociales, qui prennent dans la ville monde le caractère d’une ségrégation socio-spatiale de plus en plus violente.

New-York ville mondiale, géographie sonore
Hugo Poulet

Démarche :

L’ambition est de mettre en valeur la pluralité des savoirs utilisés ou fréquentés par le géographe pour illustrer des compétences et des méthodes en mouvement, en prise directe avec des problématiques actuelles et dans un monde où l’urbanisation ne semble pas connaître de limites. La ville monde apparaît de plus en plus comme un monde en soi, faisant de cette catégorie une des vitrines de la réussite économique, financière et architecturale, mais pas toujours dans le respect d’une certaine mixité sociale, loin de là. En utilisant les 25 minutes de l’émission Interception de France Inter consacrée à New York, capitale mondiale des inégalités, nous mettons le doigt sur cette nouvelle approche géographique qu’est la géographie sonore, pour aborder de façon plus originale un parcours dans New York, en voyageant sur une même ligne, mais en notant combien l’architecture, les paysages et les hommes qui la fréquentent y sont différents. A partir de stations bien précises, on note combien cette ville opère sa recomposition spatiale et sociale, allant de la rénovation, de la réhabilitation à Brooklyn, du ghetto pour ultras-riches à TriBeCa, pour finir par la gentrification de Harlem, et peut-être même du Bronx.

New-York ville mondiale, géographie sonore
Hugo Poulet

Cette proposition de travail peut s’organiser autour de trois grands temps. Il s’agit d’un travail en classe qui doit se faire en 55 minutes.
 Pour commencer ou préparer la séance, au CDI ou chez eux, les élèves écoutent l’émission Interception sur New York, capitale mondiale des inégalités. Ils peuvent ainsi prendre des informations nécessaires sur la ville, ses quartiers, qui y vit, sur le tracé de cette ligne de métro qui traverse la ville et distingue sa population. La géographie sonore devient leur outil et ils sont eux-mêmes producteurs d’une sélection, d’une hiérarchie des informations, que nous partagerons ensuite lors de la mise en commun en classe. On s’appuie pour cela sur un plan de New York et sur un plan du réseau des transports, en identifiant la ligne fréquentée pendant le documentaire sonore. Ils peuvent repérer les territoires de la ville en s’appuyant sur les photos en annexe tout au long de l’émission. L’utilisation d’un fond de carte est vivement recommandé pour légender les quartiers, y placer en les numérotant les photos, et refaire, même approximativement, le tracé de la dite ligne de métro, en mettant en exergue une typologie sociale des quartier traversés.
 En classe, on replace ensemble le territoire de la ville de New York, les principaux quartiers et on évoque ce qui fait ou constitue la ville monde. On utilise pour cela deux textes. Il faut ici comprendre que ce club des villes mondes consacre une certaine élite urbaine.

New-York ville mondiale, géographie sonore
Hugo Poulet


 Enfin, toujours dans le cadre de la classe, on envisage une typologie de la ville de New York en utilisant les critères économiques et sociaux rencontrés lors de notre itinéraire géographique, à partir d’un vocabulaire bien précis devant mettre en valeur les grandes problématiques urbaines soulevées. On peut encourager la formation de groupes travaillant par quartier, avant une mise en commun. Ce travail peut se poursuivre par la rédaction d’une réponse argumentée, qui reprend ou synthétise les éléments communiqués par l’ensemble des groupes, afin d’offrir un portrait urbain et social de la ville de New York.

1) La ville monde, définition et objet géographique

Extrait de l’article de Marie-Fleur Albecker, New York, LA ville mondiale par excellence ?, page 18, questions internationales, les villes mondiales, Paris, la documentation française, numéro 60, mars-avril 2013

« En 1991, la sociologue Saskia Sassen, dans son ouvrage fondateur, fait de New York l’incarnation par excellence de la ville globale. Selon le « plus petit dénominateur commun » de ces villes, New York en réunit en effet toutes les caractéristiques : accumulation du capital, implantations d’entreprises internationales, concentration de la production de richesses, surreprésentation des actifs dans le secteur tertiaire supérieur, grande accessibilité – trois aéroports internationaux -, infrastructures d’accueil de congrès ou d’événements sportifs de taille internationale et niveau élevé de diversification des activités. New York est un centre bancaire et financier d’ampleur mondiale – la capitalisation boursière cumulée du New York Stock Exchange (NYSE) et du Nasdaq est la plus importante du monde -, un centre de commandement – elle accueille le siège de 34 des 500 plus grandes entreprises mondiales – et un centre créatif et d’innovation – mode, culture, musique… New York est également une ville « mondiale » par son influence dans les mouvements artistiques du XXème siècle et son attractivité culturelle et touristique.
La puissance financière de New York se traduit dans la vigueur de son marché de l’immobilier, dimension symbolique et économique majeure de la ville globale. Les valeurs foncières – les plus élevées du pays – sont moins liées à l’offre et la demande qu’à la rentabilité induite par la proximité du centre d’affaires. Les immeubles y sont considérés avant tout comme des actifs financiers. New York concentre ses activités économiques sur les secteurs phares de l’économie globalisée – l’exportation de biens et services aux entreprises – ainsi que sur les services aux entreprises liés à Wall Street (finance, immobilier, assurance). Elle est ainsi de plus en plus dépendante du contexte mondial et de ses fluctuations. »

Questions :

1) Quels sont les critères utilisés par l’auteur pour faire de New York une ville mondiale ? Pourquoi utilise-t-elle des majuscules pour évoquer New York comme LA ville mondiale par excellence ?
2) Comment s’opère la sélection des espaces dans le tissu urbain de New York ? Quelles en sont les conséquences sociales et spatiales, ou socio-spatiales ?
3) Selon l’auteur, cette mutation sociale et économique entraîne-t-elle une modification de l’architecture des espaces productifs de la ville ? Expliquez la dernière phrase du texte.

2) Décrire et entendre le bruit de la ville globale.

Extrait de l’émission Interception de France Inter, New York, capitale mondiale des inégalités, du 23 février 2014.

Document 1

http://www.franceinter.fr/emission-interception-new-york-capitale-mondiale-des-inegalites

Document 2
Extrait de l’article de Marie-Fleur Albecker, New York, LA ville mondiale par excellence ?, page 19, questions internationales, les villes mondiales, Paris, la documentation française, numéro 60, mars-avril 2013

« Le développement des emplois peu qualifiés dans le cadre de la globalisation et le recul de l’intervention publique dans le domaine social contribuent à augmenter les inégalités sociales et spatiales. On trouve d’un côté des habitants très qualifiés et riches, et de l’autre des habitants peu qualifiés assurant les services à la personne, tandis que les classes moyennes ont fui le centre-ville. On constate donc des effets de dualisation sociale. Majoritairement immigrée, africaine-américaine ou hispanique, la population pauvre ne cesse d’augmenter depuis 1980. Elle réside plutôt dans les banlieues industrielles et, malgré sa composition raciale diversifiée, New York est finalement l’une des villes des États-Unis où l’indice de ségrégation des populations africaines-américaines est le plus fort. Dans le cœur de l’agglomération, les différences de revenus entre les plus riches et les plus pauvres augmentent en lien avec le phénomène de gentrification, c’est à dire le retour des classes supérieures vers le centre de l’agglomération.
Ces inégalités prennent tout leur sens lors d’épisodes exceptionnels comme l’ouragan Sandy qui, en octobre 2012, a plongé des quartiers entiers de la métropole dans le noir et causé la mort de plus de 40 personnes et 42 milliards de dollars de dégâts. Outre la vulnérabilité accentuée des quartiers d’habitat social situés le long de l’eau, la reconstruction met en jeu les problématiques d’une métropole durable : lutte contre les inégalités sociales, fragilisation des espaces économiques, de plus en plus dépendants d’une économie globalisée, développement d’un espace urbain écologique. Si New York veut rester attractive, elle ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ces enjeux. »

Questions :
1) Reprenez les informations collectées en amont de cette leçon à partir de votre écoute du documentaire New York, capitale mondiale des inégalités pour expliquer et justifier le titre de ce documentaire. Vous paraît-il pertinent ?
2) Pouvez-vous identifier les territoires urbains traversés ? Êtes-vous capable de vous situer, ainsi que la Green Line sur le plan du métro de la ville de New York ? Ici, utilisation d’un plan du métro de New York.
3) Comment se nomme cette modification ou recomposition du tissu urbain ? Quels en sont les enjeux économiques et les conséquences sociales ? Qu’entendez-vous par dualisation sociale, ligne 4&5 dans le texte.
4) Expliquez le dernier paragraphe et utilisez des exemples pris dans le reportage pour soutenir votre argumentation.

3) New York ville monde : une typologie sonore.

« Les villes globales accumulent d’immenses concentrations de pouvoir économique, alors que les villes qui étaient autrefois des centres de production industrielle majeurs souffrent d’un déclin démesuré ; le centre des villes et les quartiers d’affaires dans les zones métropolitaines reçoivent des investissements massifs en termes d’immobilier et de télécommunications, tandis que les zones urbaines et métropolitaines à faibles revenus sont privées de ressources ; les employés hautement qualifiés du secteur d’entreprise voient leurs revenus atteindre des niveaux exceptionnellement élevés, tandis que la main-d’œuvre ayant reçu une formation professionnelle médiocre ou mauvaise voit les siens plonger. Les services financiers dégagent des supers-profits tandis que les services industriels survivent à peine. »

Saskia Sassen, La globalisation. Une sociologie, Paris, nrf essais, éditions Gallimard, 2009, pour l’édition en langue française (2007 pour la première édition chez W.W. Norton & Company, Inc)

Questions :
1) Selon Saskia Sassen, les villes globales ou mondiales, New York, Londres, Tokyo et Paris, connaissent des similitudes dans leurs évolutions urbaines. Pouvez-vous les identifier ? En quoi ces évolutions ou changements marquent-ils une recomposition « violente » de la sociologie urbaine ?
2) En vous appuyant sur le document sonore, pouvez-vous utiliser un exemple de rénovation urbaine qui renforce les processus de gentrification, de NIMBY, et de facto accentue une ségrégation socio-spatiale à l’œuvre, mais silencieuse ? Vous localiserez votre exemple sur le plan de la ville de New York.
3) Quelles sont les conséquences sociales de ces recompositions urbaines sur la géographie de la ville de New York ? Pouvez-vous en établir une rapide typologie ?

Plan de New York

Travail complémentaire pour poursuivre la séance :

En prenant appui sur les informations collectées et hiérarchisées dans les différentes sources, proposez une réponse argumentée à la question suivante :
Les villes mondiales subissent-elles ou produisent-elles de nouvelles inégalités socio-spatiales ?

Pour aller plus loin

A travers cette expérience sonore, textuelle et cartographique, les élèves fréquentent les sources dites classiques de la géographie tout en accompagnant leur approche d’un fond sonore qui fait parti des nouveaux outils de cette science. C’est pour eux un moyen d’entrer de façon directe dans ce qui fait un territoire urbain comme New York ou la ville mondiale, le bruit, les habitants, et mener ainsi une « étude de terrain à distance  ». On peut imaginer un dialogue par groupes d’élèves exposant leur connaissance ou expérience sonore selon des quartiers choisis pour les présenter à la classe, et faire naître un dialogue ou une réflexion sur la géographie urbaine de la ville de New York… Et pourquoi pas mener l’expérience à partir d’une autre ville comme Londres ou tout simplement Paris, avec comme exemple la ligne 13, le RER B ou une ligne « homogène  » comme la 10 ?
Il est essentiel de mettre en exergue la pluralité d’une ville, sa composition sociologique, ses paysages, son architecture et surtout ses habitants. Le professeur peut poursuivre avec des photographies ou une œuvre cinématographique de la ville, cf Manhattan de W. Allen, un texte littéraire, cf : Paul Auster sur Brooklyn, ou des expressions artistiques comme le Street art, ou encore des artistes comme J.M Basquiat ou Keith Harring, pour rendre cette ville plus familière.
De même, cette étude peut amener les élèves à proposer une comparaison entre les villes mondiales, et élargir leur réflexion sur les monstres urbains des Suds ou sur des villes mondiales comme Shanghai, qui connaissent une croissance urbaine spectaculaire au point d’être annoncée ou présentée comme la ville mondiale du XXIè siècle.

Bibliographie

Le Goix Renaud, Atlas de New York, Paris, éditions Autrement, 2013
Saskia Sassen, The Global City : New York, London, Tokyo, Princeton University Press. Princeton, 1991
Sassen Saskia, La globalisation. Une sociologie, Paris, nrf essais, éditions Gallimard, 2009, pour l’édition en langue française (2007 pour la première édition chez W.W. Norton & Company, Inc)
Scobey David, Empire City, The making and maning of the New York City landscape, Temple University Press, Philadelphia, 2003
Ghorra-Gobin Cynthia, La ville américaine, espace et société, Paris, Nathan-Université, 1998
Goussot Michel, Les grandes villes américaines, Paris, Armand Colin, 2000
Goussot Michel, Espaces et territoires aux Etats-Unis, Paris, Belin, 2004
Harter Hélène, « New York, une capitale éphémère pour la jeune nation américaine (1785-1790) », in Histoire urbaine, volume 12, n° 2005/1, 2005, Pages 23-38
Carto n° 22, Mars-Avril 2014, Paris, La documentation française, 2014.

Sources audio

Émission Interception de France Inter, New York, capitale mondiale des inégalités, du 23 février 2014.
A travers la Green Line qui traverse New York de Brooklyn au Bronx, on voyage au cœur des grands territoires de cette ville monde et de ses inégalités, en rencontrant ses habitants qui exposent leurs visions de la ville et de ses changements. Voyage géographique, historique et sociologique. On ajoute deux liens sur la géographie sonore évoquée dans l’émission Planète terre de Sylvain Khan sur France Culture, et toujours sur la même radio, un documentaire consacré à la ville de New York tiré de l’émission Planète Terre du 09-04-2011.

http://www.franceinter.fr/emission-interception-new-york-capitale-mondiale-des-inegalites

http://www.franceculture.fr/emission-planete-terre%E2%94%8208-09-l-espace-sonore-nouveau-territoire-de-geographie-2008-12-17.html

http://www.franceculture.fr/emission-villes-mondes-villes-mondes-new-york-city-2011-09-04