Géographie scolaire et pensée de la complexité de Philippe Hertig (2018)

10 / 07 / 2019 | GOURGUECHON Christophe

L’auteur, professeur chercheur en didactiques des sciences humaines à Lausanne, se propose de rappeler les apports de la recherche en didactique pour l’enseignement de la géographie à l’école.
Son propos est « d’esquisser quelques pistes montrant comment la géographie scolaire peut contribuer aux apprentissages qui permettent aux élèves de s’approprier les outils de la pensée systémique et de la pensée de la complexité » (p.100).

Après avoir brossé rapidement les évolutions, parallèles et légèrement décalées dans le temps des paradigmes de la géographie et de la géographie scolaire depuis 1945, Philippe Hertig présente plus avant la démarche de l’analyse systémique et le paradigme de la complexité et pose la question des conditions de leur transposition en classe.
Partant du constat que « l’objet de la discipline devient l’étude des relations entre les sociétés et l’espace et celle des liens que les sociétés tissent entre elles à travers l’espace », l’auteur rappelle l’intérêt de viser au développement de la capacité des élèves à « penser la complexité » en privilégiant les situations mettant en interaction de multiples éléments. Cet apprentissage ne pouvant se faire que progressivement, partant de la simple identification des éléments constitutifs d’un système pour identifier des relations entre ses composantes distinctes jusqu’au niveau ultime de l’appréhension des dimensions temporelles des systèmes, de leurs évolutions, de la rétrospective à la prospective et au « pronostic systémique » (Tableau 1 p.102).
De même, l’auteur rappelle que les recherches récentes s’appuient sur les principes qui fondent la pensée de la complexité (Cf. E. Morin) pour proposer des modèles didactiques transposables en classe. Au cœur de ces modèles, la capacité des élèves à mobiliser des liens de causalité de plus en plus complexes : liens simples, relations à causes ou effets multiples, dont les syllogismes, boucles de rétroaction, situation de tension dialogique (dilemme).
Enfin, Philippe Hertig insiste sur l’importance des « concepteurs intégrateurs » dans la structuration de la pensée et dégage trois grands principes structurant le curriculum de géographie :
  L’affirmation de l’importance clé de la dimension des représentations et pratiques des acteurs du territoire et de la manière dont les acteurs produisent du territoire, l’organisent, l’aménagent.
  La nécessité d’un apprentissage systématique de la capacité à mener un questionnement raisonné, donc à problématiser.
Ces deux premiers principes font écho aux finalités de la formation citoyenne.
  Une assise des enseignements sur des modes de pensée, des démarches, des savoirs, des méthodes et le recours aux outils propres de la discipline (scientifique) géographique (concepts intégrateurs).
Ce troisième principe permet de poser un regard particulier sur le Monde, un point de vue spécifique centré notamment sur les relations sociétés-espaces et espaces-sociétés et les relations sociétés-sociétés.

Il s’agit alors d’organiser les perceptions et les connaissances autour du tryptique : « notions », « outils disciplinaires » (savoir-faire) et capacités transversales (classer, comparer, confronter, induire, déduire, formuler une hypothèse…)
Le tableau récapitulatif des « concepts intégrateurs » en lien avec « les questions centrales du raisonnement géographique qui leur sont associées » (p.107) a pour vocation de présenter la pensée complexe comme visée d’apprentissage et comme moyen d’apprendre.

L’article s’achève sur les défis didactiques posés à tout enseignant qui ambitionne que ses élèves apprennent (progressivement) à penser la complexité :
1. Leur faire comprendre qu’ils ne peuvent pas se contenter du « mode de raisonnement spontané » qui réduit toute explication à une monocausalité ou une simple chaîne de causalités linéaires.
2. La « question des acteurs » (ou dimension actancielle).
L’analyse de toute situation sociale et de toute problématique géographique exige que les acteurs soient identifiés, caractérisés, catégorisés afin de faire émerger le lien entre l’acteur et l’intentionnalité des actions spatiales.
3. La capacité à visualiser des systèmes complexes.
Apprendre aux élèves à représenter graphiquement (dès les degrés primaires) les composantes d’un phénomène ou d’une situation sociale et la nature des relations entre les éléments du système.
4. La prise en compte des échelles spatiales, temporelles et sociales.
Il s’agit d’articuler les échelles dans une perspective diachronique permettant de révéler les rapports entre les processus « horizontaux » et « verticaux » et, pour la prise en compte des échelles temporelles et sociales, par exemple, d’appréhender des paysages autrement qu’en se cantonnant à inventorier, décrire, mais aussi en ouvrant sur les représentations, les intentionnalités, les actions des acteurs qui les façonnent.
5. Apprendre aux élèves à distinguer le cas particulier, la relation, la généralité.
Ici, on retrouve toutes les questions à se poser sur l’articulation entre l’étude de cas et la « généralisation », le lien entre particularisation, contextualisation et généralisation.

Enfin, un article qui donne des pistes pour mettre en œuvre les nouveaux programmes de seconde, autour de la question de la transition, par exemple, en lien avec les finalités de l’enseignement de la géographie affirmées dans le B.O. du 22 janvier 2019 :
"Finalités : La géographie vise à comprendre comment les individus et les sociétés organisent leur espace, s’y développent, le transforment. La géographie répond à des questions telles que : Où ? Quels acteurs ? Comment ? Pourquoi ici et pas ailleurs ? – pour décrire et expliquer le fonctionnement des territoires à différentes échelles. Elle met en évidence les interactions entre les sociétés et leurs environnements."

Un article dense, mais qui permet sans doute de clarifier notre position d’enseignant face à de nombreux défis. Un questionnement d’autant plus important que, pour les élèves, apprendre à penser la complexité en géographie participe de leur capacité future à agir en citoyen éclairé.

Pour aller plus loin :
DURAND, Daniel, La systémique, Que sais-je, PUF, 2010.
MORIN, Edgar, Relier les connaissances - Le défi du XXIe siècle, Seuil, 1999.
MORIN, Edgar, Pensée complexe et pensée globale, Conférence en partenariat avec la fondation maison des sciences de l’homme, 2014.
https://www.canal-u.tv/video/fmsh/pensee_complexe_et_pensee_globale.31829

Christophe GOURGUECHON
Enseignant Histoire-Géographie au lycée Jean Vilar de Meaux (77)