Présentation du projet Par Les Vivants

13 / 01 / 2021 | Webmestre

Article rédigé par Annabelle Paillery Guichard, professeure d’histoire-géographie au lycée Etienne Bezout à Nemours.

Le projet Par Les Vivants propose aux élèves et à leurs enseignants de produire des parcours sonores géolocalisés pour narrer la vie des populations juives pendant la Seconde Guerre mondiale dans l’espace proche de leur établissement scolaire.
Les professeurs intéressés peuvent à leur tour concevoir des parcours sonores géolocalisés. Le plan académique de formation dans le chapitre CIV propose une formation intitulée « Enseigner l’histoire de la Shoah en créant des parcours sonores géolocalisés sur les lieux de persécution : une entrée par les vivants. ».

Un projet et quatre pilotes

Le projet Par Les Vivants propose aux élèves et à leurs enseignants de produire des parcours sonores géolocalisés pour narrer la vie des populations juives pendant la Seconde Guerre mondiale dans l’espace proche de leur établissement scolaire. Chargée de mission TraAM en histoire géographie (travaux académiques mutualisés et éducatif numérique), j’ai proposé en novembre 2017 ce projet expérimental à la Direction du Numérique pour l’Education (DNE) et à la DGESCO. En 2018-2020, quatre pilotes ont été réalisés par des collégiens et des lycéens dans les académies de Lille, Normandie, Versailles et Créteil.

Narrer à l’aide de parcours sonores immersifs, ce n’est pas juste un énoncé discursif constitué de faits, un simple récit. Entendons-nous, « Le narrateur, c’est celui qui, dans le même geste, informe et met en forme. ».

Une expérience sensible

Dans ce geste de la narration à l’aide de parcours sonores immersifs, les élèves proposent au promeneur d’investir un espace habituellement traversé. Le travail des narrateurs est alors de provoquer un changement : un espace traversé et parfois anonyme devient le lieu de quelque chose grâce à l’histoire sociale. Ce passage d’un espace à un lieu formé par l’histoire est une expérience sensible d’autant plus particulière pour les élèves que la narration s’opère dans leur espace proche.

Ainsi, lors de leur enquête, les élèves ont examiné une archive de juin 1940 produite par la municipalité de Nemours. Elle se présentait sous la forme d’un cahier d’écolier et recensait les objets perdus et abandonnés lors de l’Exode dans les rues de leur ville. Chana Katz, installée 10 place de l’Église de Saint-Pierre-Lès-Nemours avec ses deux filles et son fils Maurice né le 21 février 1940 à l’hôpital de Nemours, a déclaré le vol de sa voiture. Son automobile « marque Citroën 9 HP » stationnait au Garage Coffre au 62 rue de Paris.

Figure 1 cahier d’écolier Archives municipales Nemours 5H1 / APG

Le 62 rue de Paris, cette adresse devant laquelle les élèves ne faisaient que passer, une adresse anonyme, est devenu pour chacun, un lieu. L’expérience a été d’autant plus troublante que cette maison était « marquée » et « désignée »1. En effet, par transparence sur la façade, nous distinguons encore aujourd’hui l’enseigne peinte « H. Coffre – Peugeot Garage ».

Figure 2 Le garage Coffre, 62 rue de Paris, Nemours. / PLV

Une trace, à la fois absente et présente dans l’espace public, est de nouveau conquise par l’enquête historique. Désormais, pour reprendre leur expression, « on voit nos rues avec les archives dans la tête. ».

Figure 3 Munis de gants et de crayons de papier, les élèves consultent des archives de la Seconde Guerre mondiale aux AD de Seine-et-Marne / PLV.

Une tension narrative pour décrire l’antisémitisme

Ce dispositif narratif de mise en réseau de lieux est dans une logique. Cette logique fonctionne comme une tension narrative : elle cherche à montrer que l’antisémitisme rend exclusivement dissemblable l’autre pourtant « semblable-dissemblable » ² et donc égal.
En confrontant les archives, les élèves saisissent non seulement une histoire incarnée à hauteur de femmes et d’hommes mais aussi un monde social avec ses interactions. Les pilotes des parcours sonores réalisés par Marie-Édith André et les élèves de Bac Pro métiers de la sécurité à Alençon, Isabelle Coquillard et les élèves de troisième à Versailles et Frank Gilson et les élèves de troisième à Cambrai, co piloté par Anne-Françoise Pasquier, IA IPR histoire géographie, référente Pôle civique académie de Versailles, se structurent autour de cette logique.

Un projet transférable

Les parcours restent pourtant différents, - puisque chaque vie est unique -, mais surtout parce qu’élèves et professeurs s’approprient le projet selon une cohérence interne tout en lui donnant une coloration personnelle.

Figure 4 Par les vivants, un projet transférable. / I. Coquillard, APG.

Ce projet est conçu pour être transférable. Pour cela, il s’appuie sur des ressources humaines présentes dans toutes les académies : corps d’inspection, DANE, CLEMI, DAAC, CANOPE, archives et associations.
Et il s’inscrit dans les programmes du collège et des lycées. Ainsi, le parcours de Nemours s’est appuyé sur les programmes d’EMC, SNT, Lettres, Documentation et option Mangement et Gestion. Transdisciplinarité et co-enseignement sont décisifs.

Créer un parcours sonore Par les vivants

Les professeurs intéressés peuvent à leur tour concevoir des parcours sonores géolocalisés. Dans les académies de Créteil et de Versailles, les plans de formation continue proposent une formation intitulée « Enseigner l’histoire de la Shoah en créant des parcours sonores géolocalisés sur les lieux de persécution : une entrée par les vivants. ». Le choix de Par les vivants est d’associer l’école et la recherche. C’est pourquoi Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’Histoire contemporaine à l’université de Paris 8, présidente de l’Association Alarmer, Sarah Gensburger, chargée de recherche (HDR) au CNRS, directrice adjointe de l’ISP, créatrice des parcours sonores « ça s’est passé ici, les Parisiens racontent la Shoah » et de l’Association Faire-savoirs et Mathias Dreyfuss, docteur en histoire de l’EHESS et chercheur associé au Centre de recherche historique, interviennent dans ce stage. Le service éducatif des archives départementales et nationales accueille les professeurs pour un premier travail sur les inventaires et les cartons en lien avec la commune de leur établissement.
Logos, bande son, sons design, possibles progressions pour les programmes, calendrier, fiche d’activités sont proposés durant la formation.

Ecouter les parcours sonores Par les vivants

Ecouter les parcours sonores sur izi-TRAVEL, in situ, chez soi ou ailleurs

En écoutant les parcours in situ, l’expérience sensible est vécue dans l’espace traversé. En effet, l’application permet d’installer des zones de déclenchement pour les sons. Ainsi, au gré de sa marche, le promeneur provoque le déclenchement des différentes narrations.

Figure 5 Des sons qui se déclenchent dans un périmètre choisi par les narrateurs.

Ou écouter sans installation de l’application, les parcours sur le site izi-TRAVEL

Ecouter les parcours sur le site Par les vivants

Sur le site Par les vivants en cliquant sur ce lien : écouter sur le site PAR LES VIVANTS.

Figure 6 Un lecteur en ligne pour écouter les parcours

Conclusion

Par les vivants est une proposition, parmi d’autres, pour enseigner l’histoire de la Shoah. D’autres Par les vivants sont à envisager avec les élèves autour des populations juives, tziganes ou des migrations. Et ces parcours ne sont pas forcément inscrits dans un contexte tragique. Des moments favorables peuvent aussi nourrir l’esprit critique des élèves et leur faire éprouver tout autant l’autre comme « semblable-dissemblable ».


1 « L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner, il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête. », Georges Perec, Espèces d’espaces, collection L’espace critique, Éditions Galilée, 1974/2000.
² « En vérité le but (est-ce si choquant ?) n’est pas de singulariser chaque vie perdue. C’est presque le contraire : l’éprouver semblable, c’est-à-dire aussi dissemblable. Et s’éprouver semblables-dissemblables. Contemporains, interdépendants égaux devant l’être. Si toute vie est irremplaçable (et elle l’est) ce n’est pas exactement parce qu’elle est unique (même si évidemment elle l’est), c’est parce qu’elle est égale, devrait toujours être tenue pour telle. ».
Marielle Macé, Sidérer, considérer. Migrants en France, collection La petite jaune, Verdier, 2017.

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Le projet Par les vivants Nemours est très honoré d’être lauréat DILCRAH et lauréat Lycées’UP Région Île-de-France.

BIBLIOGRAPHIE

Sarah Gensburger et Sandrine Lefranc. À quoi servent les politiques de mémoire ? Presses de Sciences Po, 2017
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Marielle Macé, Sidérer, considérer. Migrants en France, collection La petite jaune, Verdier, 2017.
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Georges Perec, Espèces d’espaces, coll. L’espace critique, Éditions Galilée, 1974 / 2000.
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